ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN
Camilo Guevara March, fils du légendaire guérillero cubano-argentin Ernesto Che Guevara Photo: Cubadebate

« Guajira, viens par ici. Nous allons discuter un peu. » Et il m’entraînait dans la salle, s'installait sur le canapé et commençait à rêver. Parce que Camilo était un rêveur. Pendant huit ans, nous avons poursuivi ensemble quelques rêves que nous avons réussi à réaliser, comme ce voyage en Argentine, sur les traces de l'enfance et de la jeunesse de son père.

Cela faisait un peu moins d'un an que j'avais obtenu mon diplôme en Communication sociale avec une thèse sur le travail scientifique effectué durant la recherche des restes du Che et de ses compagnons de guérilla, et Camilo, mon premier «  chef » à la coordination des projets alternatifs du Centre d'études Che Guevara, n'a pas hésité à me confier la tâche de parcourir, caméra au poing, plusieurs provinces d'Argentine, du sud au nord et d'est en ouest, frappant à une porte ici, posant des questions ailleurs, essayant de retrouver chaque recoin de l'histoire de son père dans son pays natal.

Nuit après nuit, nous avons dormi dans différents endroits, chez des amis solidaires, des inconnus, toujours de bonnes personnes avec lesquelles Camilo conversait, chantait, riait... Avec un sourire triste, il répondait à l'inévitable question. « Je ne sais pas si ce sont des souvenirs ou des rêves que je conserve de mon père. »

C'était la première fois que je sortais du pays et Camilo, plus que le chef qui marquait le pas, fut un gentleman qui veillait à chaque instant à ce que je me sente à l'aise durant de longues journées en voiture, malgré la fatigue qui venait à bout de moi parfois au milieu du dîner, du rhume après une pluie froide... Dans chaque endroit où nous arrivions, il me présentait avec la considération et le respect que mériterait une journaliste expérimentée, alors que je commençais à peine à me former en tant que professionnelle.

Sur cette voie, je lui dois beaucoup. Je m'en rends compte aujourd'hui. Camilo m'a ouvert le monde de la photographie, à travers l’œuvre de son père. Un jour, il a posé sur son bureau une grande boîte noire où Aleida et lui conservaient les travaux photographiques du Che. Des photographies imprimées, des diapositives, des pellicules, des enveloppes, certaines même écrites de la main du Che, m'apparurent comme un trésor. Éblouie par ces documents, dont certains avaient déjà fait partie de l'exposition Che Photographe, j'ai commencé à tenter d'identifier chaque image avec le lieu où elle avait été prise, de la relier aux écrits du Che ?

Tandis que nous préparions une nouvelle édition du catalogue Che Photographe, ou que nous réalisions une série audiovisuelle pour accompagner l'exposition qui devait faire le tour du monde, Camilo m'a appris à identifier une bonne photo, qu'il s'agisse de la loi des tiers, de la lumière, du cadrage... Et j'ai fini par faire mon mémoire de maîtrise sur le sujet. Il l'a révisé plusieurs fois, mot à mot, il était très zélé sur ce sujet, dont il s'occupait personnellement au Centre. À ce moment-là, alors que nous travaillions ensemble depuis sept ans, nous avions parfois quelques discussions, mais il avait raison sur tous les points. Et c'était peine perdue, Camilo ne perdait jamais un débat.

Il rêvait, rêvait et vous entraînait... C'est ainsi que, après avoir vu des espaces multimédias interactifs fermés dans une ville européenne (musée numérique, disait-on pour simplifier), il a voulu en faire un sur la vie et l'œuvre du Che à Cuba. Il démarrait des études à l'université des Sciences informatiques et il y vit la possibilité que, tout en créant un espace pour la promotion de l'héritage révolutionnaire de son père, Cuba aurait accès à une nouvelle technologie, à une façon moderne de faire les choses, qui pourrait être exposée dans le centre historique, devant des milliers de touristes, puis qui voyagerait dans le monde entier. Il a finalement réussi à le réaliser en Italie.

En 2007, nous nous sommes rendus à Caracas pour enrichir les archives audiovisuelles du Centre. Deux frères Granado, Tomas et Gregorio, y vivaient. C'est avec Tomas, un camarade de classe, que le Che avait commencé ses relations avec cette famille, dont Alberto Granado, son compagnon de voyage, était le plus connu. Il était ému de découvrir son père dans les souvenirs de ses amis. Je ne peux m'empêcher de me sentir un témoin exceptionnel de ces retrouvailles passionnantes, alors que plus d'un demi-siècle d'histoire s'était déjà écoulé.

Au Venezuela, outre l'amour, il y est allé avec l'idée de pouvoir réaliser une série audiovisuelle biographique sur le Che. Dans ce but, nous avons commencé à revoir grand nombre de mètres de films à l’ICAIC, sur une machine de montage, en identifiant chaque seconde où le Che apparaissait. Camilo s’est rendu dans les studios de Cubanacan pour rechercher les rebuts de films et a récupéré, entre autres pièces précieuses, le discours du Che à Genève. Finalement, tout ce matériel a été utilisé par Tristan Bauer pour son documentaire Che, un homme nouveau, et aujourd'hui, le Centre dispose de vastes archives documentaires filmiques sur le Guérillero.

Par ailleurs, il avait un instinct particulier pour reconnaître ceux qui l'approchaient par intérêt, et il n’allait pas plus loin.

Il y avait toujours un ami à proximité. Beaucoup venaient le voir au Centre et on savait qu'ils faisaient partie des siens, car ils avaient tous quelque chose en commun.

Il adorait ses enfants Camila, Celia Habana, Pablo et Vladimir. Le mariage avec Rosa fut une belle soirée entre amis et proches qui célébrèrent sincèrement cette union.

La complicité avec ses frères et sœurs était palpable lorsqu'ils se retrouvaient.

Il regardait Ernesto avec une tendresse particulière... « Aleidaaaaaaa ! », criait-il dans le couloir du centre/maison pour saluer sa mère. Et je pense à elle, aux yeux du Che et à ceux de Camilo.

« Et les gamins ? ». Il me semble qu’il peut me le demander en cet instant-même