ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN
L’infirmier Alfredo Jesus consulte un patient à l’école transformée en abri pour les évacués de l’ouragan Matthew. Photo: Yander Zamora

BARACOA, Guantanamo. — Jesus Nolasco se réveille assis.

Depuis un mois et trois ou quatre jours, il n'a plus ni lit, ni matelas, ni réserve.

Ni maison.

Il est infirmier depuis plus de 25 ans.

Il travaille sans sa blouse blanche dans un autre centre de travail. Le sien, l’ouragan l'a emporté, avec le sac en plastique dans lequel il gardait ses vêtements.

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Je me trouvais chez une voisine et nous n’avons entendu que le vent. Puis, le bruit de l'eau. Quand l’œil du cyclone est arrivé, et que le calme régnait, nous avons regardé à l’extérieur. Mais, par téléphone depuis La Havane, mes amis et l'époux de la voisine nous ont dit : « Ne sortez pas, l’œil du cyclone est en train de passer. Méfiez-vous ». Mais, nous sommes sortis quand même…

Le 4 octobre, vers cinq heures du matin, Jesus se précipite dans l'escalier et grimpe sur la terrasse de sa voisine avec une lanterne. Il pointe la lumière vers sa maison (qui est mitoyenne) et s'effondre en larmes.

Il semble être l'homme le plus digne du monde.

Il a une voix que je ne saurais décrire.

–J'ai allumé la lanterne et j'ai vu ma petite maison détruite. Une partie du terrain que nous avions cultivé, la plupart des arbres jonchant le sol : les cocotiers, les avocatiers brisés, les racines arrachées ; les bananiers détruits...

Terrible, terrible. Ma petite maison n'avait plus ni toiture, ni murs. J'ai eu une sensation d’oppression dans la poitrine. Je crois que si je n’ai pas eu de crise cardiaque, c’est parce que je m’étais préparé.

Maintenant il sourit.

–Mais il me reste quand même un prunier...

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Dans la soirée du 4 octobre, Jésus fouille les décombres de sa maison à la recherche de ce qui pourrait encore servir.

Il branche le réfrigérateur, qui démarre. Puis qui s’arrête, et redémarre. Et ainsi de suite…

Pendant ce temps, dans la maison de la présidente du CDR, la femme de Jesus est au téléphone avec un fonctionnaire du gouvernement provincial.

Le couple passe la nuit chez la voisine.

Le lendemain, le gouvernement les héberge dans une salle de classe, au deuxième étage de l’école Rodney Coutin Correa, qui sert de centre d’évacuation pour les sinistrés de la Zone de défense du quartier La Asuncion.

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–Lorsque l’ouragan est arrivé, 1 899 personnes ont été évacuées dans cette école.

Actuellement, il y en reste 258 (63 familles). 37 enfants entre zéro et 6 ans ; 28 entre 7 et 14 ans ; 89 de plus de 40 ans, dont 27 de plus de 60 ans, indique Lazaro Emilio Chavez Perez, responsable du centre d’évacuation.

À l’école Rodney Coutin, sont hébergées 7 personnes handicapées physiques, et 3 autres atteintes de troubles psychiatriques et 5 de cancer.

Ces dernières, selon le responsable, ont été évacuées chez des proches, car le centre ne disposait pas des meilleures conditions d’accueil. Cependant, le centre se charge notamment de la nourriture.

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À 1h, presque 2h du matin, quelqu’un a frappé désespérément à la porte.

Jésus ouvre.

Cela fait des jours que son épouse et lui dorment à même le sol avec un simple drap.

–Que se passe-t-il ? demande-t-il.

–Docteur, je vous amène mon fils qui saigne du nez…

C’est un enfant de 12 ou 13 ans.

–Je l’ai examiné, mais il n’avait rien, me raconte maintenant Jésus. Certains arrivent avec des saignements de nez. Il semblait que l’adolescent s’était lavé, je ne sais pas. J’ai expliqué au père : c’est normal à cet âge-là. Le nez est une zone très vascularisée, il y a beaucoup de veinules et de petits vaisseaux qui parfois éclatent quand on éternue. À cet âge, ils sont fragiles. Je lui demande : « Ça lui est déjà arrivé auparavant ? ». Il acquiesce. Je dis au garçon : « Et bien, dors normalement sans pencher la tête ».

Le lendemain matin, le père est revenu et m’a dit : « Docteur, je n’ai pas de mot pour vous remercier. »

Quelques jours auparavant, Jésus s’était rendu à son travail : un petit campement de pionniers.

Il le trouva dévasté.

Alors, on lui a proposé de travailler dans une salle de classe de l’école Rodney Coutin, aménagée en infirmerie.

Il a accepté.

– Nous sommes quatre infirmiers. On fait les gardes de 7h du matin à 19h. Le lendemain, de 19h à 7h du matin. Une garde, puis un jour de repos, successivement. Les médecins sont les seuls dont les horaires ne sont pas fixés à l’avance.

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D’après Lazaro Emilio, le centre dispose d’un coursier qui apporte chaque jour les médicaments.

–Tous les jours, à 9h du matin, le service médical fait un rapport sur ce qu’il manque. Si on a besoin d’un produit ou d’un médicament sur ordonnance, on s’organise avec les Services de santé, qui le fournissent. Le messager part tous les matins et revient avec ce qu’il faut : depuis les comprimés jusqu’à la bouteille d’oxygène.

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Huit jours après l’ouragan, Alfredo Jesus Nolasco Ferrer a reçu 50 tuiles et un sac de clous.

–Selon le type de dommages, nous fournissons aux sinistrés, comme aide provisoire, 50 tuiles de chrysotile-ciment, 10 barres de bois rond, 3,5 kg de clous, un sac de ciment et un autre de sable. Gratuitement, précise Eduardo Zorrilla Romero, vice-président de l’Assemblée municipale du Pouvoir populaire et président de la commission d’évacuation de Baracoa

« À ce jour, nous avons remis 250 de ces modules dans la municipalité. Il reste 8 cas, (dont Jesus), auxquels il n’a pas été possible de fournir le module entier par manque de bois, à cause de problèmes d’accès aux lieux de collecte.

« Par ailleurs, nous avons commencé à préparer d’autres type de modules, comprenant un jeu de chaises (4 chaises de bois poli, avec dossiers et coussins de vinyle), un matelas et un lit, pour les distribuer progressivement à ceux qui ont perdu leur mobilier, c'est-à-dire aux personnes qui, même si elles ont reconstruit la structure de leurs maisons, ne peuvent toujours pas y habiter faute de conditions matérielles satisfaisantes ».

Jusqu’à présent, le gouvernement provincial a distribué 124 matelas aux 14 centres d’évacuation, un chiffre encore insuffisant.

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L’infirmerie est une petite salle de classe humide, avec 2 tables et 3 ou 4 chaises. Elle a quelques fenêtres encastrées dans le mur du fond. Elles sont fermées. Il y a peu de lumière. Près de la seule porte, une chaise en plastique et une bouteille d’oxygène. Sur l’une des tables, des ordonnances, des seringues jetables, un stylo, des flacons de sérums.

Les gens entrent et sortent.

La docteure examine les signes, les symptômes, en notant tout dans un cahier : maux de tête, fatigue... Elle salue en retour quelqu’un qui passe.

Jesus applique une pommade sur une égratignure, injecte un médicament dans une veine. Il dit que la journée est plutôt calme et qu’il termine demain à 7h.

–La vie d’un infirmier dépend de l’amour qu’il porte à son métier. Moi, je suis heureux lorsque j’arrive à sauver un patient. Cet homme qui est venu tout à l’heure pour sa blessure : quand je le soigne et que le lendemain, je constate qu’il va mieux, j’éprouve une grande satisfaction.

« Des complications, nous en avons eues. Une petite fille de neuf mois qui est arrivée avec des diarrhées ; comme nous n’avions pas les conditions pour la garder, nous avons décidé de la transférer à l’hôpital. On avait déjà eu le cas d’un enfant avec une forte toux, qu’on avait également envoyé à l’hôpital Octavio de la Conception y de la Pedraja, de Baracoa ».

Parfois, quand un cas urgent se présente au médecin de garde, Jesus reste seul au cabinet. Alors, la porte entrouverte, il s’allonge au sol. Il rattrape un peu de sommeil. Ou il se réveille assis.

Il y a bien un matelas enroulé sur une chaise, mais Jesus n’ose pas le toucher. Il dit qu’il appartient à l’une des infirmières.

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–Alors ta maison, ça avance ?

–J’ai refait le toit avec l’aide de mon beau-fils. On n’a pas traîné parce que ce n’était qu’une réparation. Mais la construction commencera quand ils nous auront distribué le reste du matériel. Il faudra alors la reconstruire entièrement.

« Pour le moment, nous avons couvert les deux chambres et une petite partie de la salle avec les tuiles. On a profité du pan de mur qui était resté sur pied. Et avec ces mêmes tuiles nous avons fait d’autres murs.

–Et alors, Baracoa se relève ?

–J’ai l’espoir que tout va se remettre sur pied. De plus, comme j’ai ensemencé mon champ, j’ai proposé aux dirigeants de céder un morceau de terrain pour qu’ils reconstruisent ma maison, et d’autres. Ils en font de deux et trois étages… Ils m’ont dit qu’ils allaient en tenir compte.

Et il se met à sourire.

–Ce qui me fait plaisir, c’est que dans mon champ, j’ai quelques arbres qui pointent déjà le bout du nez. Il y a un bananier qui sort ses feuilles et tout. Il faut dire que les arbres sont comme ça, vous savez : ils tombent, mais ils se relèvent toujours.