QUELQU’UN ou quelques-uns n’ont pas dit la vérité au président des États-Unis Donald Trump qui, ce 20 mai, a félicité le peuple de Cuba à l’occasion de la « journée de l’indépendance ».
Mais on se doit d’accorder le bénéfice du doute au chef de l’administration étasunienne, qui semble visiblement avoir été mal conseillé ou n’a écouté que les nostalgiques du passé colonial.
Telles sont probablement les raisons qui l’ont poussé à évoquer le 115e anniversaire de l’événement survenu le cinquième mois de 1902, et en même temps à adresser un message de félicitations aux Cubains.
Cuba, son peuple et son gouvernement ont exprimé leur disposition à discuter de n’importe quel sujet avec les États-Unis et à entretenir des relations civilisées de coexistence, en respectant nos divergences. C’est dans ce même esprit que nous pourrions aussi parler de ce 20 mai, que nous ne célébrons pas dans cette Île souveraine et indépendante, mais dont nous gardons un souvenir très net et durable.
Il y a 115 ans, il n’y eut aucune proclamation d’indépendance. L’histoire est un peu plus longue.
En 1898, la guerre contre l’occupant espagnol était pratiquement gagnée par l’Armée cubaine de libération. Les troupes péninsulaires étaient vaincues, épuisées moralement et physiquement après avoir essuyé des pertes considérables. C’est dans ce contexte que vit le jour une résolution du Congrès des États-Unis donnant les coudées franches au voisin du Nord pour intervenir dans le conflit, dans le but de « garantir la liberté de Cuba ».
Mais les chefs mambises (terme utilisé par les indépendantistes eux-mêmes signifiant « rebelles ») ignoraient tout du mémorandum que le sous-secrétaire à la guerre Breckenridge écrivait à propos de Cuba au lieutenant général Nelson A. Miles, le 24 décembre 1897, où il signalait : « Il faudra détruire par le fer et le feu tout ce qui est à portée de nos canons, renforcer le blocus pour que la faim et la peste, son éternelle compagne, déciment sa population pacifique et réduisent son armée [...] Nous devons créer des difficultés au gouvernement indépendant, afin que celles-ci et le manque de moyens pour satisfaire nos demandes et les obligations que nous avons créées, les dépenses de guerre et l’organisation du nouveau pays, soient assumés par les Cubains [...]. En résumé, notre politique doit toujours consister à appuyer le plus faible contre le plus fort, jusqu’à ce que nous ayons obtenu l’extermination des deux, afin de nous annexer la perle des Antilles ».
Remarquez la phrase « renforcer le blocus pour que la faim et… ». Toute ressemblance avec le blocus que nous subissons depuis plus de 55 ans n’est pas une pure coïncidence. Tel fut le prélude du 20 mai 1902. Peut-on célébrer ainsi l’indépendance ou recevoir des félicitations ?
Cet épisode avait eu ses antécédents dans l’explosion, le 15 février 1898, dans la rade de La Havane, du cuirassé Maine. Et même William McKinley en personne, le 25e président des États-Unis, reconnut que la commission d'enquête chargée d'examiner l'épave du Maine n’avait pas pu identifier les responsables de l’explosion, il devait indiquer : « Mais cette explosion nous prouve que l’Espagne n’est même pas capable de garantir la sécurité d’un navire nord-américain en visite à La Havane dans une mission légitime de paix ». Tel fut le prétexte utilisé pour déclarer la guerre à l’Espagne, comme une ébauche qui aboutirait à ce 20 mai 1902. Au dire de Vladimir Ilitch Lénine, les États-Unis déclenchaient ainsi la première guerre impérialiste de l’ère moderne.
Mais ce n’est pas tout. Nous allions assister auparavant à une autre date tout aussi sombre et douloureuse : le 10 décembre 1898, avec la signature du Traité de Paris, qui marqua la fin du colonialisme espagnol sur la Grande Île des Antilles, et constitua un affront colossal à la dignité des Cubains, qui furent tenus à l’écart des pourparlers.
Les États-Unis « aménagèrent » une liberté qu’ils n’avaient ni gagnée ni obtenue dans les cruels combats, et l’Espagne renonçait, disons-le ainsi – car en fait elle capitulait – à un droit qu’elle avait perdu sur les champs de bataille. Ce traité organisa une simple passation de souveraineté, contre paiement d’une indemnité entre la Couronne espagnole et le gouvernement des États-Unis d’Amérique sur les îles de Cuba, Porto-Rico, Guam et sur l’archipel des Philippines.
Ce 20 mai fut précédé par la tenue d’élections en juin 1900 qui amputèrent le droit des Cubains. Les femmes étaient privées du droit de vote, qui était réservé aux hommes de plus de 21 ans. Ce même jour Cuba allait être dotée d’une Constitution qui attentait à sa propre indépendance et à sa souveraineté. L’Amendement Platt, imposé par les États-Unis en annexe de la Constitution, établissait de facto une République néocoloniale.
Au troisième paragraphe, sur les huit contenus dans ce document usurpateur, il était signalé : « Le gouvernement cubain accorde aux États-Unis le droit d’intervenir pour garantir l’indépendance et pour aider tout gouvernement à protéger les vies, la propriété et la liberté individuelle, et au respect des obligations vis-à-vis de Cuba imposées aux États-Unis par le Traité de Paris ».
Au terme d’une étude approfondie de ces mêmes pages, le 2 novembre 2016 le chercheur Ernesto Limia écrivait : « Les États-Unis proposèrent d’inclure l’Amendement Platt comme additif à la Constitution cubaine, en posant comme condition le retrait de son contingent militaire. Une fois cet objectif atteint, ils acceptèrent de reconnaître, le 20 mai 1902, une République qui pour voir le jour dut se soumettre à la tutelle yankee. Cette même année, dans son discours sur l’état de l’Union, le président Theodore Roosevelt déclara : « Cuba est à nos portes, et tout événement, qu’il lui fasse du bien ou du tort, nous affecte également. Notre peuple a si bien compris cette réalité que, dans l’Amendement Platt, nous avons établi la base, d’une manière définitive, sur laquelle dorénavant Cuba se doit d’entretenir avec nous des rapports politiques beaucoup plus étroits qu’avec n’importe quel autre pays […] ».
Il ne fait aucun doute que le président Trump a été mal conseillé. Les personnes chargées de l’informer ou de le conseiller doivent aussi avoir mal lu José Marti. Autrement M. Trump ne l’aurait pas métamorphosé en homme d’affaires ou ne l’aurait pas évoqué dans son message de félicitations pour nous dire que « le cruel despotisme ne saurait éteindre la flamme de la liberté née dans les cœurs des Cubains », et que « les persécutions injustes ne peuvent pas altérer les rêves des Cubains de voir leurs enfants vivre libres et sans l'oppression ». Nul comme l’Apôtre de notre indépendance n’a mieux mis en garde contre les dangers représentés par la puissance du Nord. Il le disait clairement dans sa lettre à son ami mexicain Manuel Mercado, le 18 mai 1895 : « Maintenant je puis écrire... je suis chaque jour en danger de donner ma vie pour mon pays et pour mon devoir... d'empêcher à temps, avec l’indépendance de Cuba, que les États-Unis ne s’étendent dans les Antilles et ne s’abattent, avec cette force supplémentaire, sur nos terres d’Amérique. Tout ce que j’ai fait jusqu’à ce jour, et tout ce que je ferai, vise à ce but ».
Neuf ans plus tard, un 20 mai, mai de 1904, le président Roosevelt annonçait au Sénat son intention d’étendre à l’Amérique centrale et dans la Caraïbe les préceptes de l’Amendement Platt. Marti eut l’occasion de bien connaître les États-Unis au cours des 14 années vécues dans ce pays, un séjour qui fit jaillir de son âme patriotique sa célèbre phrase «J’ai vécu dans le monstre et j’en connais les entrailles ».
Nous sommes arrivés à ce 20 mai 1902 après avoir vécu la dissolution du Parti révolutionnaire cubain fondé par José Marti pour lancer la guerre nécessaire pour la vraie liberté des Cubains. Cette décision, qui fut prise par le premier président de cette République, Tomas Estrada Palma, successeur du Héros national comme délégué du Parti, intervint 11 jours après la signature du Traité de Paris entre l’Espagne et les États-Unis, où Cuba fut considérée comme un butin de guerre.
La véritable et définitive indépendance que nous, les Cubains, commémorons aujourd’hui, c’est celle que nous avons obtenue le 1er janvier 1959 sous la conduite de notre commandant en chef Fidel Castro Ruz.
Concernant l’événement survenu voici 115 ans, il convient de paraphraser l’historien de la Ville de La Havane, Eusebio Leal Spengler : « Nous n’allons pas fêter le 20 mai 1902. Par contre, nous allons le commémorer afin de la conserver en mémoire. Nous devons examiner la république en profondeur pour comprendre cette Révolution que nous avons aujourd’hui. Il n’y a pas d’avenir sans passé ».








