ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN
Illustration tirée de Libros Plus 

Selon le célèbre essayiste, chercheur et financier étasunien Nassim Nicholas Taleb, la première étape pour résoudre les crises économiques et financières mondiales est de supprimer le prix Nobel d'économie. Il serait insensé de s’attendre à ce que les « gourous » de l'économie cubaine, parrainés par ceux qui tentent de nous affamer pour nous soumettre depuis plus de 60 ans, soient en mesure d'établir des règles de prospérité pour tous, en faisant appel aux doctrines d'un système de relations économiques où seul un petit nombre de personnes sont « des gagnants », par opposition à une grande majorité de « perdants ».

Lors de la présentation de son ouvrage autobiographique Sincèrement, à la Foire du livre de La Havane en 2020, l'ancienne présidente argentine Cristina Fernandez a déclaré : « un système médiatique présente les "voix autorisées" comme si l'économie était une science occulte dans laquelle les gourous ou les sorciers de la tribu expliquent aux gens simples ce qu'il faut vraiment faire ».

Mais si les données montrent que 1% des habitants de la planète accumulent autant de richesses les 99% restants, ces spécialistes ne devraient-ils pas d'abord nous expliquer pourquoi leurs formules magiques ont fini par rendre les riches plus riches, tandis que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres ? Serait-ce parce les cartes du tarot qu'ils nous distribuent sont marquées ?

La technique utilisée par ces gourous pour nous arnaquer est millénaire. Comme la pythonisse de l'Oracle de Delphes ou la sibylle de Cumes, ils recourent à un langage ésotérique, abondant en expressions ambiguës, enchevêtrées, qui se rapprochent des causes, mais jamais de leurs éclaircissements, de sorte que l'interprétation définitive se nourrit de la bonne foi ou de la crédibilité du récepteur.

À Cuba, nous ne manquons pas de gourous capables de nous indiquer chaque jour les meilleures routes vers Ophir : ces fameuses mines du roi Salomon, riches en or, argent et pierres précieuses. Par exemple, hier, je lisais dans un quelconque média contre-révolutionnaire financé par les États-Unis, les étonnantes prescriptions que nous donne le Dr Mauricio de Miranda Parrondo, professeur à l’Université pontificale Javeriana de Cali.

Après nous avoir « démontré » l'« échec retentissant » de notre système, il a poursuivi en nous expliquant comment surmonter un tel désastre. La première chose à faire, dit-il, est de démanteler notre modèle économique où l'État centralise la distribution des produits de base – une question de vie ou de mort pour un pays soumis à un blocus – et de laisser cette question entre les mains du secteur privé. En d'autres termes, la solution serait d'entrer dans les jardins de l'Eden du dieu marché, où il suffit de secouer les branches pour que tombent les IPhones et les Mercedes Benz. Comme le disait ce slogan des années 50, alors que la moitié de Cuba était affamée : « Vous aussi, vous pouvez avoir une Buick ! »

Un vieux dicton dit que l'habit ne fait pas le moine. J'en parle parce qu'en dépit de sa responsabilité de titulaire dans une université colombienne – consacrée à Saint-François Xavier : missionnaire jésuite, défenseur des pauvres –, on ne voit jamais M. Parrondo se pencher à la fenêtre de son appartement pour nous expliquer comment atténuer la misère qui sévit autour de lui.

En décembre dernier, la Chambre de l'industrie alimentaire de l’association nationale des entrepreneurs de Colombie, en alliance avec le Réseau colombien des banques alimentaires (Abaco), a présenté une étude sur la situation nutritionnelle en Colombie, montrant qu'avant la pandémie, 54,2 % de la population vivait avec un certain degré d'insécurité alimentaire et qu'environ 560 000 enfants souffraient de malnutrition chronique.

Rien qu'à La Guajira, 40 enfants sont morts de faim l'année dernière. Dans d'autres départements, la situation est également grave : dans le Choco, 17 nourrissons sont morts de causes associées à la malnutrition sévère ; dans le Magdalena, 13, et dans le Cesar, 11. Selon l'Institut national de la santé (INS), à la 32e semaine de 2021, 8 545 cas d'enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë avaient été signalés.

Rappelons que la Colombie est le deuxième pays d'Amérique latine à disposer des plus grandes ressources en eau et de la plus grande diversité climatique. En outre, elle dispose de quelque 40 millions d'hectares pour produire tout type d'aliments : ce sont des ressources que n'importe quel autre pays du monde pourrait lui envier. Mais, bon, Cuba, où il n’existe pas de dénutrition des enfants, est la préoccupation de ce gourou.

On pourrait se demander pourquoi les recettes de M. Parrondo ne fonctionnent pas pour la Colombie. Serait-ce à cause du trou dans la couche d'ozone, ou à cause des ectoplasmes qui ne circulent pas bien sur certaines coordonnées géographiques ? Ne faisons pas de conjectures : peut-être est-ce uniquement parce que nous sommes en présence d'un moine post-moderne, dont le pieux travail ne se fait pas in situ, mais en ligne, comme il sied à l'ère de l'internet.

Mauricio de Miranda poursuit en expliquant : « J'ai déjà proposé d'adopter un taux de change flexible, avec une bande d'intervention de la banque centrale, ce que le ministre a rejeté au motif que cela affecterait la majeure partie de la population ». Quelle construction fastidieuse : « taux de change flexible », « bande d'intervention de la banque centrale », et pour finir le mauvais ministre qui ne se rend pas compte de quelque chose d'aussi simple et d'aussi efficace pour la santé de l'économie nationale.

En fait, que nous recommande ce monsieur ? Précisons tout d'abord qu'il n'est pas le seul expert à proposer une mesure aussi impopulaire, typique des « thérapies de choc », concoctée par l'économiste libéral Milton Friedman, mais que ces derniers temps, toute une congrégation monocorde de « moines » répète la même chose comme si elle entonnait un chant grégorien.

Purement et simplement, la proposition consiste à dévaluer le peso cubain par rapport au dollar, de sorte que le taux de change passe de 24 pour 1 à, disons, 48 pour 1. Le lecteur non averti pourrait se dire : Parfait ! Ainsi, il se peut que le taux de change informel baisse. Mais attention, ne vous faites pas d'illusions ! La première chose qui se produira est que les prix vont monter en flèche, alors que votre salaire restera le même.

Par exemple, l'essence, qui coûte aujourd'hui 30 pesos le litre, passera à 60 pesos. La différence ne sera pas supportée par le budget de l'État : la situation restera la même qu’auparavant. Ainsi, lorsque vous prendrez un taxi, le chauffeur vous dira : « Je suis désolé, mon ami, mais je dois gagner de l’argent pour acheter de l'essence, donc ce n'est plus 20 pesos, c'est 40. »

En bref, tous les carburants coûteraient deux fois plus cher en monnaie nationale. Et ce serait la même chose pour les tarifs de l'électricité, les transports, le gaz de ville, les données Internet, et même le poulet et le riz du panier alimentaire subventionné doubleraient également, car tous ces produits ont des prix référencés à leur équivalent sur le marché mondial.

Mais il n`y aura pas que cela. L'agriculteur vous dira : je suis désolé de doubler le prix de la malanga et des patates douces, car le prix de l'électricité pour l'irrigation a augmenté, ainsi que le prix du carburant pour le tracteur, et on vous dira la même chose à la cafeteria, et dans tous les commerces, et, pour finir, je vous rappelle encore une fois que votre salaire restera le même en monnaie nationale.

Selon Lord Byron, la meilleure prophétie du futur est le passé. Je veux dire que nous avons vu auparavant où les thérapies de choc ont mené dans les pays où elles ont été appliquées. Elles ont toujours un impact, avant tout, sur le porte-monnaie de ceux qui vivent de leur salaire.

En tout cas, si nous avions quelques doutes sur ce qui se cache derrière de tels oracles, il y a une semaine, l'ambassade des États-Unis à La Havane les a confirmés. Ils se sont plaints aux quatre vents sur twitter du fait que le gouvernement cubain ignorait leurs économistes.

À quels économistes font référence ceux qui essaient de nous affamer pour nous soumettre depuis plus de 60 ans ? Ce n’est pas, évidemment, aux milliers de personnes qui s'efforcent quotidiennement de rendre nos entreprises plus efficientes afin qu’elles génèrent davantage de produits : la seule façon possible de prospérer et de vaincre l'inflation. Ils font référence à leurs gourous illuminés, ceux qui ne cherchent qu'à semer le vent pour que nous récoltions la tempête. Comme l’affirme la maxime juridique : tout aveu libère la contrepartie de l’obligation de la preuve.