Comme quelqu’un qui rentre chez soi, le Dr Fernando Buen Abad Dominguez, prestigieux philosophe et communicologue mexicain qui, en plus de ses nombreuses responsabilités – comme celle de membre du Conseil consultatif de Telesur – est responsable de l'Institut de culture et de communication de l'Université nationale de Lanus, a été accueilli au journal Granma, qui publie régulièrement ses articles.
« Je vous remercie pour votre hospitalité révolutionnaire », a-t-il dit aux travailleurs du journal, qui ont écouté ses paroles engagées envers l'amélioration humaine, un objectif qui ne devrait jamais être éloigné des intellectuels honnêtes. Buen Abad est venu à Cuba, avec laquelle, avoue-t-il, « nous n'avons pas su être aussi solidaires que nous aurions dû l'être », pour lui dire « certaines choses ».
Tout d’abord, a-t-il déclaré à son auditoire : « nous sommes nombreux sur ce continent à ressentir le vent frais de la dignité et du combat cubain, » et de poursuivre que, « malgré toutes les douleurs et tous les outrages », les Cubains sont debout. Puis, et ce fut le point central de son intervention, où il a décrit le scénario contemporain de guerre pour conclure en appelant à sa destruction.
Buen Abad a partagé avec ses auditeurs un projet d'analyse, débattu au sein de son Institut, sur « la construction d'une carte qui nous permettrait d'approfondir, de comprendre et de nuancer les caractéristiques de ce que l’on définit aujourd'hui comme une guerre hybride et sans restriction », qu'il a qualifiée de « salade de coups bas contre les peuples », dans laquelle on trouve, parmi beaucoup d'autres outils, « ceux de la communication, et nous avons été avertis », a-t-il expliqué, « qu'il y aurait des agressions permanentes et pires, et des plans très pervers contre les êtres humains ».
Il a expliqué dans le détail que l'otan a annoncé il y a quelques semaines l’exécution d'un projet d’offensive, défini comme la prochaine étape de la guerre, qui vise le cerveau des gens. Ils l'ont appelée
« guerre cognitive » et ont publié des documents officiels, des thèses et des livres à ce sujet.
« Ils supposent qu'au lieu de nous convaincre seulement à travers leurs slogans, leurs phraséologies et leurs paquets idéologiques, il s’agit d'introduire les mécanismes psychologiques pour que les gens commencent à penser par eux-mêmes de manière autorépressive, si bien que les catégories d'unité, d'organisation et de mobilisation collective deviendront un nouveau péché de notre temps, et toutes les initiatives émancipatrices pourront être paralysées à l’avance. »
Pour le philosophe, ce plan trouve ses fondements dans les neurosciences, et a-t-il affirmé, des laboratoires neuroscientifiques ont été utilisés pour tester comment ces dispositifs d'autocontrôle sont installés, ratifiés et positionnés. Tout cela, a-t-il expliqué, ils le camouflent sous le nom de nouvelle ère de la libre pensée, de sorte que l’être humain s'autocensure, ne veuille appartenir à aucune organisation, parce qu'il ne pourra plus croire en personne, tout en considérant qu'il pense librement et que, de plus, disent-ils, c'est pour le bien de l'humanité.
« Ils ont osé dire qu'il n'était plus nécessaire de continuer à voir ce spectacle de cadavres dans la guerre parce que maintenant cela peut être évité en contrôlant le cerveau des gens, et il ne sera plus nécessaire de larguer des bombes », a-t-il poursuivi, soulignant que tous ces documents peuvent être consultés et qu'il peut être prouvé que le plan est en cours. « Le laboratoire direct pour cela est précisément ce conflit en Ukraine. Tout au moins dans la ligne concrète de lancer des fausses nouvelles, on commence à repérer ces ingrédients. »
Face à cette réalité, il a fait valoir qu'il est essentiel de nous poser la question suivante : pendant qu'ils commettent des atrocités, nous, que faisons-nous ? Comment nous préparons-nous non seulement à résister, mais aussi à nous mettre à jour et à nous défendre contre une telle barbarie ? Et si nous en sommes capables, a-t-il insisté, de discerner alors et de discuter les éléments qui se mettent en place dans cette situation globale.
Le spécialiste a souligné qu'en Amérique latine, un plan Condor pour la communication est en cours, et il a insisté sur le fait que dans la formation des communicateurs de la région, plus de 80% de la bibliographie est produite par eux. Par conséquent, a-t-il dit, « il y a un manque très sérieux de production théorique et méthodologique pour permettre d’activer ces professionnels ».
Face à la situation de guerre mondiale, nous sommes très déstabilisés, a-t-il dit, et il a évoqué la nécessité de résoudre ce déficit par une stratégie, et de la repenser pour qu’elle soit à la mesure de la problématique. Nous sommes confrontés à un scénario de bataille difficile, dans laquelle nous avons subi des coups, des dommages et des revers, du fait qu’ils se sont préparés pour gagner les champs symboliques, a-t-il dit.
Il a rappelé qu'ils ont déclenché une campagne depuis des années, dans laquelle ils se font passer pour des défenseurs de la liberté, et ils ont financé des intellectuels pour créer un bunker d'attaques contre les gouvernements démocratiques de la région. Se refusant au fait que nous acceptions cela, il a également affirmé qu'il en va de même pour le mot démocratie, un concept qui, selon eux, doit être modernisé au point de ne pouvoir être exercée que par les soi-disant intellectuels, qui sont ceux qui savent pourquoi ils votent, tandis que les peuples ignorants ne savent rien, si l’on en croit leur perfide intention.
AlORS, QUE FAIRE ?
Après avoir décrit « ce paysage, nous avons pensé qu'il nous fallait proposer la construction d'une plateforme de travail et de recherche sémiotique » – et de nous orienter vers la construction d'un institut, un laboratoire ou un courant sémiotique – dans lequel, comme tâches essentielles, il nous faut élaborer un cadre théorique et méthodologique qui permettrait, en temps réel, de travailler sur les tirs qui se déchaînent chaque jour, et avoir une capacité de prévision. Nous devrions former de nouveaux cadres en sémiotique, car nous n’en disposons pas suffisamment en ce moment, a-t-il déclaré.
« Nous avons besoin d'une sémiotique de combat pour l'émancipation, et pour cela nous disposons du cadre théorique du marxisme-léninisme qui, à propos, ici à Cuba, a apporté des contributions extraordinaires », a-t-il dit.
Il a évoqué la nécessité de consolider à court terme, dans trois à six mois, le concept de cette plateforme, que « pour l'instant j'appelle l'Institut de sémiotique, et j'espère qu'il pourra s'appeler l'Institut cubain de sémiotique. Aujourd'hui, l’un des seuls endroits sur ce continent où nous pouvons parler de ces choses, c’est ici ».
Il est également nécessaire, a-t-il poursuivi, que le marxisme génère son propre projet de sémiotique interne, avec une machinerie de communication interne pour reprendre sa place, la place qu'il devrait avoir dans la bataille des idées en Amérique latine et sur tous les fronts universitaires, et il a fait remarquer qu'il est nécessaire de « transformer cette plate-forme en un outil qui se multiplie pour des choses concrètes, pour une action directe sur les produits concrets de l'agression symbolique ».
Buen Abad a souligné que dans notre région, il existe aujourd'hui des millions de volontés communicationnelles émancipatrices, dispersées sur des réseaux sociaux, des associations, des partis... mais, a-t-il soutenu, si nous pouvions faire cette carte, la première chose que nous verrions ce serait « un archipel immense mais non connecté ». Il y a des millions de volontés, comme des lumières allumées, il ne nous reste plus qu'à les articuler.
Pour conclure, l'universitaire a souligné que la grande tâche politique du moment est que nous soyons capables, depuis Cuba, de lancer un grand appel, afin de commencer à construire un réseau d'accords pour qu'ensuite, telle une grande caisse de résonance capable de se maintenir dans le temps, notre clameur ait une portée continentale.








