ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN
Près de la base des supertankers. Photo: Ricardo López Hevia

Matanzas est, en soi, une ville paisible. Mélancolique, disent ceux qui prétendent expliquer pourquoi, ici, les artistes semblent sortir de dessous chaque pierre.
Ce 6 août, en dépit de la catastrophe, la ville conserve cette « matansérénité » que décrivit un poète, mais quelque chose de lourd pèse dans l'atmosphère, et ce n'est pas seulement la fumée noire qui s'approche et s'éloigne au gré du vent, ni l'odeur de soufre ou la fumée qui irrite les yeux.
Ce qui plonge Matanzas dans le silence et dans l’attente, c'est la prise de conscience de la tragédie en cours, de l'ampleur de ce qui est en jeu, de l’humain, qui est la priorité, et du matériel, avec un poids profond pour Cuba en ce moment.
Ce qui fait que la ville retient son souffle, une ville où presque tout le monde reste sur le pas de sa porte, son téléphone portable à la main, avide de nouvelles, c'est l’anxiété pour ces fils pompiers, disparus, qui, soudain, appartiennent à toutes les mères et à tous les pères et le coeur serré pour ceux qui luttent pour leur vie, traversant la douleur des brûlures, une douleur qui, dit-on, est terrible.
Sur la base des supertankers, dans la zone industrielle située à quelques kilomètres de la ville, le silence règne également. Dans le quartier Dubrocq, le plus proche de la zone,  toutes les portes ont été fermées, les habitants ont été évacués.
Les camions de pompiers, les camions-citernes d’eau et les voitures avec des officiers passent à toute vitesse, brisant le silence de la route déserte. Il suffit de lever les yeux au ciel pour s’apercevoir que la colonne de fumée grandit, grandit et devient plus noire et plus menaçantede minute en minute.
Tout près des citernes en feu, aussi loin que la prudence le permette, on entend le crépitement du feu, et chaque centimètre de la peau avertit du danger qui s’accroît avec chaque flambée au rouge intense.
L'instinct de survie hurle : « Éloignez-vous ! », mais il y a ceux qui, n’écoutant pas cet appel, s'approchent – ils doivent le faire – de l'épicentre de la menace pour tenter de la contenir. Ces pompiers et sauveteurs sont rassemblés au commandement spécial des supertankers n° 2, une arrière-garde qui n'a jamais été aussi avant-garde.
Là se trouvent ceux qui retournent sur les flammes toutes les heures, ceux-là mêmes qui disent que les premières heures du matin ont été noires, et qu'en un instant ils ont seulement su que « le ciel avait pris feu ».
De très jeunes hommes et jeunes filles, et d'autres endurcis par l'expérience, mais tous impressionnés par ce qu'ils ont vécu et qui, disent-ils, est sans précédent dans leur carrière. Des gens qui dorment un peu et déjeunent, reprenant de la vitalité pour retourner  une heure plus tard vers un terrain incertain et terrifiant.
« Je ne ressens rien quand je pense à y retourner, je sais juste que c'est ce que je dois  faire », dit un membre de la Croix-Rouge, « je suis un volontaire », précise-t-il, et dans cette nuance, dans cette volonté, réside toute la différence.
« Il faut l’éteindre ! », explique un chauffeur de l'un des premiers commandos arrivés en renfort. Certains de ses collègues ne sont pas revenus, alors qu’il s'apprête à repartir.
Un colonel du ministère de l'Intérieur passe parmi les pompiers à moitié endormis, la main bandée, la peau de la nuque et du cuir chevelu recouverte de pommade contre les brûlures ; il écoute ce que lui dit un subordonné et donne des instructions, le visage crispé, par la douleur, l'inquiétude ou les deux, nul ne le sait.
C'est l'atmosphère qui règne : détermination au-delà de la fatigue, opérabilité dans un scénario très complexe. Et une peur qui ne se dit pas, parce qu’on la tient pour acquise, et aussi parce qu'elle n'est pas déterminante.
De nouveau de l'autre côté de la baie, les gens regardent, encore incrédules, la fumée qui s’élève, et le silence continue. Dans le centre politique et social de la ville, on perçoit le mouvement d'un poste de commandement.
Une information en développement, c'est ce que l'on dit et ce que l’on ressent. Sur le chemin de la base de supertankers, nous nous sommes demandés : «  Jusqu'où pouvons-nous aller ? Aussi loin que nous en ayons le courage », nous sommes-nous dit, avec cette humour sérieux typique des moments complexes, en nous rappelant d'autres jours de Matanzas, ceux de Playa Giron.
Alors que ces lignes s’écrivaient, sur le trottoir, quelques minutes avant une conférence de presse, un vieil homme est passé devant le groupe des autorités et des journalistes et leur a dit : « En ce moment, je me souviens d'Almeida : ici, personne ne se rend ! ». Et il avait raison.