ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN
Une dizaine de personnes doivent leur vie à l'expertise de Juan Carlos au volant, affirme Ernesto. Photo: Ricardo López Hevia

« Samedi matin, à cinq heures et demie, lorsque je suis arrivé ici, je suis rentré chez moi sans même changer de vêtements, et lorsque ma grand-mère, qui est ma mère, m'a vu, elle s'est écroulée dans mes bras. »
C'est ainsi qu'Ernesto Moreno, un garçon mince au regard noble, raconte l'histoire. Ses yeux se brouillent chaque fois qu’il se souvient de ce qu'il a vécu la première nuit de l'incendie à la base des supertankers.
Il n'est pas retourné dans la zone de la catastrophe depuis ce jour. La mission qui lui avait été confiée, avec d'autres soldats et officiers, était de maintenir la vitalité du commandement n° 1 de Matanzas, auquel il appartient, afin de pouvoir faire face à tout autre accident.
À ses côtés se trouve Juan Carlos Hernandez, qui se présente comme un opérateur de la technique d'extinction (le camion-citerne), travaillant depuis 20 ans au ministère de l'Intérieur.
Juan Carlos n'est pas un homme très bavard, mais ce qu'il dit est suffisant : « Il n’y a pas d’explication à ce que nous avons vécu. Ce fut un moment difficile, nous voulions faire quelque chose et nous ne pouvions pas ; nous avons vu les véhicules et nos collègues s'effondrer, j'ai beau le dire, je ne pourrai pas le décrire. »
– Des blessures ?
–Non.
Ernesto montre ses genoux.
– Enfin oui, mais ce n'est rien.
Au contraire, Ernesto raconte avec la précision de quelqu'un qui préfère les détails, ce qui s'explique lorsqu'il dit qu'il a été admis à l’université pour préparer une licence d’histoire. « Nous sommes arrivés à six heures du soir, nous avons immédiatement commencé à nous déployer, pour essayer d'éteindre le premier réservoir. De nombreux autres techniciens ont commencé à arriver, y compris d'autres provinces. »
Il a 19 ans, et dans cette conversation à trois, il dit qu'il fait son service militaire en tant que pompier, « par choix et parce que ça me plaît ».
« À 21 heures, l'anneau du premier réservoir cède et le carburant commence à s’écouler, la première explosion se produit, mais nous parvenons tous à sortir en courant. » C'est alors que Juan Carlos s'est blessé aux genoux, dans la fuite, « mais dix minutes plus tard, nous sommes revenus, nous avons repris notre travail là où nous l’avions laissé et nous avons continué ».
À quatre heures dix du matin, Ernesto, qui était en train de remplir sur le toit du camion, est descendu et est entré dans le véhicule pour « se rafraîchir », car cela faisait plus de dix heures qu’il travaillait.
« Cinq minutes plus tard environ, le premier réservoir s'est fissuré, il y a eu une énorme flambée et c'est alors que nous avons commencé à essayer de sortir ». À ce moment-là, « tous ceux qui étaient sortis en courant avaient avancé d'environ 20 mètres. Nous étions à 40 mètres du premier réservoir et à 15 mètres du second ».
– Qu'est-ce qu’on ressent à ce moment-là ?
Ernesto baisse le regard, se tait, regarde à nouveau dans les yeux :
– On ne sent rien.
« La première explosion se produit. Je regarde, en cinq ou huit secondes tout devient d'un blanc aveuglant et je mets ma tête dans le camion.
« Lorsque je regarde à nouveau vers l’extérieur, le deuxième réservoir avait explosé et toutes les flammes s’abattaient sur nous, le feu était sur nous. »
La voix d'Ernesto se brise lorsqu'il parle de ces trois pompiers, qu'il ne connaissait pas, et qu'il a vus de loin tenter de s'échapper, sans y parvenir. La façon dont il s'en souvient et le raconte nous serrent les entrailles : « Les flammes les ont atteints et ils ont continué à courir, mais ils sont tombés, épuisés, écrasés.
« Près de nous étaient garées deux voitures, qui ont été projetées au-dessus des réservoirs. Il y avait beaucoup de cris... »
Il fait une pause, avale sa salive avant d'ajouter : « Sans Juan Carlos, je ne serais pas en vie ». Puis il le regarde et le serre dans ses bras. Ils pourraient parfaitement être grand-père et petit-fils, et il est clair que le lien qui les unit à jamais à cette même force.
« Je ne serais pas en vie sans le sang-froid dont il a fait preuve au volant. Nous connaissions son habileté, mais le voir là-bas, sous cette pression, ne se compare à rien d'autre. »
« Au moment de la ruée pour échapper au feu, il y avait quatre personnes dans le camion-citerne, lorsqu'ils sont arrivés au commandement n° 2 du supertanker, une dizaine en sont descendus. Dans la course effrénée pour la survie, les gens grimpaient du mieux qu'ils pouvaient dans les véhicules en marche. C'était une question de secondes. Le raconter prend plus de temps, beaucoup plus de temps. »
Plusieurs membres de sa brigade ont été brûlés, mais ils n’ont perdu personne. Il connaît plusieurs des disparus. Sa voix s'éteint.
Nous parlons ensuite du fait qu'il fait son service militaire depuis six mois, qu'après avoir réconforté sa grand-mère, il a pris son téléphone portable et il avait des centaines d'appels et de messages, de la solidarité des gens « qui ont été si aimables avec nous ».
– Et après cette expérience, tu aimes toujours être pompier ?
– Non, je veux faire autre chose.
Pendant que cette conversation se déroulait, l’incendie faisait toujours rage.
– Et si on te rappelait à la base des supertankers en ce moment même ?
– Non, bien sûr que je veux ; je vous ai dit : « Je ne veux pas être autre chose ». Je vais faire mes études, mais ensuite, je serai pompier.