
guantanamo.– La mort a eu beau la poursuivre, il lui aurait fallu plus de mille tentatives pour la surprendre à Confluentes, un quartier périphérique du nord de ce chef-lieu, où elle vit, ou à l'opposé, à l'Entreprise de transformation de café « Asdrubal Lopez », où elle travaille depuis près de quarante ans.
Comme dans l'histoire du conteur Onelio Jorge Cardoso, de guerre lasse, la mort aurait renoncé si par hasard elle avait jeté son dévolu sur cette femme de Guantanamo qui, du haut de ses 77 ans, est bien réelle, comme son parcours, et qui s’est vu attribuer le titre d’Héroïne du Travail de la République de Cuba.
À la recherche de cette femme, n'importe quel jour de ces 60 dernières années, la faucheuse se serait arraché les cheveux à chaque question sur l'endroit où se trouvait Francisca.
La jeune fille, alors âgée de 15 ans, participait à la première campagne de vaccination contre la polio ; trois ans plus tard, elle s'engageait dans la campagne d'alphabétisation dans une localité située entre Guantanamo et Yateras ; plus tard, elle donnait son sang pour les blessés du cyclone Flora ou effectuait des tâches pour la Fédération des femmes cubaines (fmc) en plantant du café caturra (une mutation naturelle de la variété Bourbon) et en fabriquant des jougs de bœufs.
Plus tard, par hasard, elle devait suivre un cours de dégustation de café à Santiago de Cuba. C'était une coïncidence fortuite. Sur une inscription de 16 personnes, Francisca Holder Ges fut la seule femme parmi les quatre personnes retenues.
L'Entreprise cubaine du café, située à Santiago, l'a accueillie et la jeune femme y passa 12 ans. Francisco a fait son chemin en développant ses sens visuel, tactile, olfactif et gustatif, en renforçant ses compétences de dégustatrice, détectant l'acidité, les arômes, les textures, les saveurs... jusqu'à dix attributs organoleptiques de la fève, qui la différencient et lui confèrent une catégorie, une valeur et une gamme commerciale et exportable.
AU MONDE
Quinze ans avant le début du siècle actuel, Francisca est retournée à Guantanamo, à ses racines.
Depuis lors, elle est, comme certains disent, le « filtre », le « scanner humain » par lequel passe le café de la plus grande entreprise de transformation de café de Cuba, « Asdrubal Lopez », où ceux qui ont été éduqués dans cette tradition savent que sa parole est sacrée, ses conclusions un gage de qualité supérieure du café commercialisé par l'entreprise.
En sa qualité de dégustatrice, Francisca est la seule Cubaine à avoir obtenu une certification internationale.
Le bon dégustateur est le fruit « d'une formation et d'une discipline rigoureuses, mais aussi de certaines privations », nous confie-t-elle.
Et d’ajouter : « Pour réussir dans ce métier, il faut renoncer aux assaisonnements, aux cosmétiques, aux cigares et à pas mal de boissons. »
« Si les organes sensoriels ne sont pas exempts de "contamination", ils ne perçoivent pas correctement l'odeur, la couleur ou le goût. Un faux pas peut fausser les résultats. C’est quelqu’un qui sait où le grain cache son arôme qui vous le dit. »
« Ce grain vient de La Tagua », affirme-t-elle en approchant son nez d'un récipient contenant le produit ; « celui-ci de Yateras... de Maisi ; ... et celui-là d'Imias ».
Elle fait figure d’autorité dans ce métier, même si elle ne s'en vante pas. Francisca possède un odorat aiguisé et un palais affûté.
Sa soif d'apprendre et d'enseigner l'a conduite sous d'autres latitudes : Mexique, Allemagne, Belgique, Japon, Équateur....
« On peut me trouver aussi bien à La Havane, à former des dégustateurs cubains, nord-coréens, burundais, panaméens, nicaraguayens... ou à l’Université de Guantanamo, donnant un cours à des ingénieurs agronomes », me confie-t-elle.
Les paroles de Francisca me parviennent, sages, naturelles, cristallines comme un ruisseau. Le courant de sa conversation me transporte au Brésil, au Pérou, en Colombie, au Mexique, en Afrique et au Nicaragua. Je traverse la ceinture mondiale du café, je ressens le climat, je contemple le paysage, l'altitude...
Le monument aux victimes d'Hiroshima vous frappe de stupeur : « J'ai rarement ressenti autant de douleur que lors de cette visite », avoue-t-elle, « c'était très triste, la même chose m'est arrivée lorsque j'étais dans le camp de concentration d'Auschwitz. Pourvu qu'aucun crime ne se reproduise, mais ils en commettent à nouveau un contre la Palestine ».
Le jour où elle s’est vu décerner la médaille d'Héroïne du Travail de la République « a été passionnant, et je l'ai aussi reçue au nom du collectif auquel j'appartiens ».
Elle n'en dit pas plus sur le sujet, mais elle ne tarit pas d'éloges sur les autres personnes qui l'ont méritée à cette occasion, et elle parle des créateurs des vaccins contre la covid-19 : « Ils nous ont sauvés ! ».
Quelle simplicité chez cette Cubaine ! Quelle chance pour Cuba et pour l'Entreprise « Asdrubal Lopez ». Quelle chance pour Guantanamo et pour le café. La chance elle-même, Francisca l'a construite avec générosité et dévouement. 







    
