
Pinar del Rio. – La découverte sous ses eaux des épaves de navires coulés voilà des centaines d'années, à l'époque où les corsaires et les pirates semaient la terreur dans les Caraïbes, fait de l'archipel de Los Colorados un site légendaire.
Ses habitants racontent que c'était un territoire hostile où, profitant de ses chenaux, récifs et bancs de sable, les écumeurs de mer perpétraient d'innombrables attaques, et que dans les fonds paisibles de cette région fascinante et magnifique, il y a encore de l'or, beaucoup d'or.
Pour confirmer leurs dires, ils s’appuient sur des noms tels que « Nuestra Señora de la Piedad », le navire de la seconde moitié du 16e siècle, découvert près de Cayo Inés de Soto au début des années 1990, d’où il fut extrait plus de 17 000 pièces d'or et d'argent, ou celui de « San Ignacio de Loyola », trouvé dans la région de San Cayetano, avec ses pièces d'argent frappées au Pérou.
De plus, d'autres épaves, comme celle de « Nuestra Señora del Rosario », coulée en 1590 lors d'un affrontement avec des pirates anglais, restent introuvables.
Dans son livre Naufragios, l'archéologue et chercheur Carlos Alberto Hernandez Oliva souligne que les cayos au nord de Pinar del Rio (connu sous le nom d'archipel de Los Colorados) fait partie de la route suivie par les flottes espagnoles pour parvenir à La Havane et que les équipages s'y réfugiaient souvent ou manœuvraient dans ses bas-fonds, pour tenter d'échapper aux tempêtes ou à l’assaut des plus redoutables pirates.
Dans ces circonstances, affirme-t-il, le risque de naufrage était très élevé et les célèbres crêtes ou couronnes et cheminées de fée ont capturé qui sait combien de navires au fil des siècles.
Les scientifiques, cependant, affirment que la principale richesse de ces 73 850 hectares de plate-forme marine, de côtes et d'îlots pratiquement vierges réside dans leur nature.
Les études disponibles font état de 172 espèces d'oiseaux (dont 14 endémiques de Cuba), de 35 espèces de coraux, de sites de nidification de tortues et de crocodiles, ainsi que la possibilité d'observation de lamantins.
Elles mentionnent également la beauté des plages de cayo Pescador, l'impressionnant inventaire faunistique de cayo Inés de Soto et les vastes bandes de mangroves.
Mais ce n'est que le début, dans une région encore très jeune en matière de recherche, si bien que les spécialistes estiment qu'il reste encore beaucoup à découvrir.
Humberto Piñero Torres, directeur de conservation de l'entreprise provinciale de flore et de faune partage cet avis : « C'est l'une des dernières zones protégées de Pinar del Rio. Nous sommes encore en train de l'étudier. L'inventaire faunistique qui figure dans le plan de gestion approuvé par le Conseil des ministres peut être élargi, car la région recèle bien d'autres richesses ».

Raul Martinez Rivera, spécialiste de l'éducation environnementale dans la zone protégée, le confirme : « L'archipel de Los Colorados a très rarement fait l'objet d'études scientifiques.
Lorsque vous effectuez une recherche sur Google, vous trouverez très peu de publications à ce sujet. C'est donc à nous de changer cette réalité ».
C’est en 2015, rappelle-t-il, que les travaux de surveillance, de conservation et de protection ont commencé et six ans plus tard, en 2021, la zone a finalement obtenu le statut de zone protégée de ressources gérées.
Son cœur en est la réserve naturelle Corona de San Carlos, un site de rassemblement et de reproduction de nombreuses espèces de poissons, qui présente un intérêt pour toute la région, car il a été prouvé qu’à travers les courants marins, elle apporte des larves à l'archipel Sabana-Camagüey (et peut-être aussi à celui de Los Canarreos), ainsi qu'au banc des Bahamas et à la Floride.
« Cela en fait un site d'importance nationale et internationale », selon Ivalut Ruiz Rivera, spécialiste de la conservation de la zone protégée.
Par ailleurs, l'archipel de Los Colorados se trouve dans le corridor biologique des Caraïbes et sert de refuge tout au long de l'année à de très nombreux oiseaux migrateurs, lors de leur transit entre l'Amérique du Nord et l'Amérique centrale et du Sud.
Afin de mieux connaître ses immenses richesses naturelles, plusieurs projets sont menés à l’heure actuelle, allant de l'étude de la flore et de la faune locales à celle de la connectivité possible entre Cuba et les États-Unis pour des espèces telles que les tortues, les crocodiles et les lamantins.
Compte tenu de sa beauté, plusieurs produits touristiques sont également en cours d'élaboration, avec notamment des excursions vers certains cayos pour l'observation des oiseaux, la randonnée et les activités traditionnelles de soleil et plage.
Des actions d'éducation environnementale, de protection et de conservation, tout aussi difficiles et précieuses que les expéditions et les surveillances, sont menées dans une zone sur laquelle plusieurs communautés de trois municipalités du nord de Pinar del Rio ont un impact.
En collaboration avec le corps des gardes-forestiers et des gardes-frontières, la lutte contre la capture d’espèces menacées comme les tortues, l’utilisation de moyens de pêche qui affectent les fonds marins ou empêchent la reproduction des poissons deviennent également prioritaires.
«Éduquer ces communautés, faire respecter les cycles d’interdiction de la pêche, leur expliquer quel matériel est durable dans le temps et lequel ne l’est pas, est d’une importance vitale», estime Raul Martinez Rivera.
Il en est de même pour les mangroves, un écosystème qui protège les côtes et sert d’habitat à une infinité d’espèces, dans lesquelles, ces derniers temps, s’est multiplié l’abattage aveugle pour fabriquer du charbon.
«Les gens ne peuvent pas prendre soin de ce qu’ils ne connaissent pas», avertit le spécialiste. D’où l’engagement de sensibiliser les habitants de cette région au grand trésor qu’ils possèdent. Et bien que la tradition orale continue de maintenir en vie les légendes liées aux flottes espagnoles, aux corsaires et aux pirates, que les historiens confirment qu’il y a certainement eu des combats et des naufrages, il insiste sur le fait que la principale richesse de l’Archipel de Los Colorados a toujours été sous leurs yeux et il convient de la préserver pour qu’elle y demeure. •