
PINAR DEL RIO. – Il y a plus de 40 ans, avant de se consacrer au mélange d’eaux-de-vie et d’alcools, alliant la science et une tradition d’un siècle et demi, Francisco Javier Sabat était professeur. Pendant 11 années, il a travaillé dans différentes écoles, dans l’enseignement régulier, ainsi qu’à la faculté ouvrière-paysanne. Cependant, c’est pour une toute autre raison qu’il est auréolé du qualificatif de « maître ».
Depuis qu’il a quitté les salles de classe, il passe ses journées entre la cave, le laboratoire et l’aire de production de la distillerie El Valle, où à force d’études et de patience, il a donné vie à plusieurs marques de rhums de renom international.
Diplômé en chimie à l’Institut supérieur pédagogique de Pinar del Rio, Francisco Javier a obtenu le titre de maître rhumier en 2019. Il est le seul de la province de Pinar del Rio à avoir reçu cette distinction, et l’un des neuf maîtres rhumiers que compte actuellement Cuba.
Il est considéré par ses collègues comme l’âme de la rhumerie et l’artisan de presque toutes ses productions, qui vont des vins jusqu’au eaux-de-vie les plus courantes, jusqu’aux rhums les plus exclusifs qui ont déjà été présentés en Asie et en Europe.
Avant son arrivée, il se souvient que cette petite industrie ne jouissait pas d’une très bonne réputation et que les habitants de Pinar del Rio appelaient avec mépris «Coronilla » (eau-de-vie grossière) la boisson obtenue.
Par conséquent, la première étape serait la création d’une marque d’appartenance territoriale et identitaire et faire table rase de ce qui s’était fait jusqu’à présent.
Ainsi est né le nom de El Valle, en hommage au paysage incomparable de Viñales, à Pinar del Rio, et désignant un premier rhum qui fut très bien accueilli par les critiques et les habitants de la région.
Celui-ci serait suivi par un autre et un autre encore... Francisco Javier ne compte plus les boissons qu’il a créées. Quand il a arrêté de compter, il en était à 38, mais depuis lors, il a continué à donner vie à de nouvelles formulations, sous les appellations El Valle, Arecha, Vegas del Rio, Campechano...
« Nous avons rempli le catalogue des rhums cubains, qui dévoile aussi bien des rhums blancs que des rhums ambrés, bruns, dorés, vieillis... une gamme qui va du silver dry au rhum premium de 15 ans », assure-t-il.
En ce qui concerne les eaux-de-vie, il a également couvert toutes les lignes possibles, et pour ce qui est des vins, bien qu’ils ne soient plus élaborés à l’usine, il les a obtenus à l’époque, qu’ils soient secs ou sucrés.
C’est vite dit, ajoute-t-il, mais derrière toutes ses créations il y a une longue histoire de dépassement. « À mon arrivée dans cette usine, j’ai dû suivre des cours et des formations de toutes sortes. »
Il lui aura fallu plus de 30 ans d’efforts pour se voir attribuer le titre de maître rhumier, et faire partie d’un héritage dont il tire une grande fierté.
« Dans cette profession, on ne finit pas d’étudier, avec la particularité qu’il n’y a pas ni livres ni manuels sur comment faire les choses. »
Ce spécialiste reconnu rappelle qu’il n’y a pas d’école pour devenir maître rhumier. Ce n’est pas une carrière qui s’enseigne à l’université. Aussi faut-il apprendre de l’expérience des autres associées à ton propre vécu.
À propos des nombreuses tentatives pour associer à notre pays certaines boissons fabriquées à l’étranger, Francisco Javier est catégorique :« Il est impossible de faire un rhum cubain ailleurs qu’ici. »
« Certains sont partis ailleurs et ont emporté parfois une part de ce savoir-faire avec eux, mais ils ne peuvent pas emporter Cuba », souligne-t-il.
Ainsi, il indique clairement qu’en plus des formulations, le rhum cubain se distingue par les caractéristiques de l’eau-de-vie avec laquelle il est élaboré, obtenue à partir de la canne à sucre, dans des conditions très spécifiques de température et d’humidité.
Amoureux de son métier, il avoue ressentir la même passion que pour toutes ses créations. « Mes rhums sont comme mes enfants, et je les aime tous de la même manière ».
Ce n’est pas une phrase vide. Pour obtenir un rhum, il faut faire preuve d’une patience énorme. « S’il s’agit d’une vieillissement de cinq ans, par exemple, il faut attendre ce terme et laisser la nature faire son travail. »
« Quand j’entre dans le chai, n’importe qui pourrait penser que je suis fou, car il m’arrive parfois de parler aux fûts...»
Son dévouement au travail et ses résultats à l’usine El Valle lui ont valu de nombreuses décorations. La dernière étant l’Ordre de Lazaro Peña Première classe, il y a à peine quelques mois. Cependant, il affirme que sa plus grande récompense, c’est le respect et l’affection des gens.
« Le fait que les gens reconnaissent votre travail est quelque chose de merveilleux, qui vous renforce dans votre volonté d’aller de l’avant », souligne-t-il.
A 73 ans, Francisco Javier ne cesse de rêver et de chercher de nouvelles combinaisons d’arômes et de saveurs. « Mon objectif est d’obtenir un jour un rhum de très bonne qualité et à un prix très bas ». •