
C'EST presque un rituel de faire un bilan lorsqu’une année touche à sa fin. Il faut dire que 2015 nous a apporté bien des satisfactions sur le plan culturel. Une année d’enrichissement de l'esprit au quotidien, qui a laissé des souvenirs dans la mémoire de beaucoup.
C’est précisément ce « beaucoup » qui fait la différence à Cuba. Tout au long de ces douze mois, c'est ce public, ce spectateur, ce lecteur, ce cinéphile, ce mélomane, ce danseur qui est devenu le sujet de toutes les manifestations artistiques auxquelles nous ferons référence ici.
L'ÎLE DE LA MUSIQUE
On dit souvent que Cuba est l'Île de la musique. Ce n'est donc pas surprenant que les événements musicaux aient été d’une telle qualité et tellement nombreux que l'on peut affirmer que la musique fut la grande protagoniste des 12 derniers mois.
Plusieurs festivals ont captivé 2015, notamment celui de la Musique contemporaine de La Havane, présidé par le talentueux Guido Lopez-Gavilan, et qui a permis la présentation de nombreuses œuvres, certaines en première mondiale ou pour la première fois à Cuba ; le Mozart-Havane 2015 et Les voix humaines, conçu par Leo Brouwer, dont le prestige a attiré plus de 200 artistes d’excellence aussi bien cubains qu'étrangers.
Un anniversaire à souligner, les 5 ans de la Tournée dans les quartiers du compositeur, chanteur et poète Silvio Rodriguez, dont le 70e concert fut particulièrement remarqué. Il avait invité pour cette occasion le groupe Buena Vista Social Club qui faisait une escale à La Havane avant de poursuivre sa tournée mondiale, Adios, avec laquelle il fait ses adieux à la scène.
Parmi les moments mémorables de cette année, signalons que le mois de décembre a été marqué par le Festival Jazz Plaza, inauguré par Ernan Lopez Nussa et son trio, et le groupe nord-américain The Preservation Hall jazz band ; l’attribution du prix national de musique 2015 à la chanteuse et compositrice Beatriz Marquez, l’une des meilleures interprètes cubaines, qui a fait des incursions remarquées dans le répertoire du boléro, du feeling et de la chanson, ainsi qu’au maestro Guido Lopez-Gavilan, parmi les compositeurs et les directeurs d'orchestre les plus en vue dans le panorama musical cubain.
Cubadisco fut un moment propice pour apprécier le travail des maisons de production cubaines. Deux albums ont reçu le Grand prix : Oh, yes !, de Digna Guerra et le chœur Entrevoces et La vuelta al mundo, d'Alexander Abreu et Havana D'Primera.
Le Septeto Santiaguero a reçu en 2015 le prix Cubadisco dans la catégorie « Son traditionnel » et le Latin Grammy pour No quiero llanto. Tributo a los Compadres, enregistré avec le salsero dominicain José Alberto « El Canario ».
DES VISITEURS DE QUALITÉ
La Havane a toujours été un lieu de rencontre d’artistes de dimension internationale. Cette année 2015 a été riche en visites qui ont permis un dialogue toujours gratifiant entre public et musiciens.
La chanteuse portoricaine Olga Tañon, lauréate de cinq prix Grammy, a attiré sur le Malecon des milliers de personnes qui ont dansé au rythme de sa musique pendant les deux heures d'un concert où elle a interprété plusieurs de ses classiques comme Cuando ya no estás, Bandolero ou Muchacho malo.
Olga a annoncé qu'un CD de ce concert sera vendu sur le marché international et que les bénéfices étaient destinés aux écoles d'art cubaines, ainsi qu’à un centre d'éducation spécialisée pour enfants handicapés de Santiago de Cuba où elle a offert son premier concert.
Quant à la chanteuse et compositrice Katy Perry, l’un des phénomènes de la nouvelle vague du pop nord-américain, elle est venue en visite à deux reprises à La Havane, comme l'avaient fait avant elle Beyonce et Rihanna. Perry a fait une escale dans sa tournée internationale The Prismatic word tour et après un concert à Porto Rico, elle est revenue une seconde fois pour rencontrer la compagnie de théâtre d’enfants La Colmenita.
Parmi les invités du Festival Les voix humaines, signalons le ténor britannique John Potter, la chanteuse de flamenco espagnole Mayté Marin, la Portugaise Dulce Pontes, le contre-ténor brésilien Rodrigo Ferreira, le guitariste bosniaque Edin Karamazov et le contre-ténor allemand André Scholl.
Sans oublier la présence du groupe nord-américain Take 6 qui a enflammé le public en faisant preuve d’une virtuosité vocale impressionnante, qui lui a valu sept prix Grammy et cinq disques d'or et de platine.
Invité par le Festival Habanarte, qui offre le meilleur de la programmation culturelle de la capitale en 10 jours, notons CJ Ramone, l'ancien bassiste du groupe punk Ramones en concert à la Casa del Alba.
Le rock n’a pas manqué avec le groupe The Dead Daisies au Maxim Rock, une salle considérée comme le quartier général du genre à Cuba.
Quant à la danse, elle a compté parmi ses invités les plus prestigieux, le danseur nord-américain Rasta Thomas, polyvalent et virtuose, qui a interprété chaque pièce avec un charme sans limites, de la passion, un grande intensité et une précision inégalable.
Invité pour l’anniversaire de la compagnie Danse contemporaine de Cuba, il a ensorcelé le public avec une danse festive, décontractée, dans la pièce moderne, Give me all your love.
Grâce au Festival de cinéma français de La Havane, la capitale a reçu l’une des grandes personnalités du cinéma mondial, Costa-Gavras qui a confié à Granma International qu'il faisait du cinéma seulement « avec des histoires qui le touchaient profondément ».
Le concert le plus important a certainement été celui du pianiste chinois Lang Lang, un interprète magnifique, l’un des plus acclamés par le public international et de Chucho Valdés, pianiste et compositeur cubain. Ils se sont retrouvés sur la prestigieuse scène montée à la place de la cathédrale, dans le Centre historique, accompagnés par l'Orchestre symphonique national, et pour l'occasion, sous la baguette de la nord-américaine Marin Alsop.
La musique classique était à l’honneur avec le retour de l'Orchestre symphonique du Minnesota, dirigé par le Finnois Osmo Vanska, 85 ans après sa première visite à La Havane.
La rencontre Voix populaires, dirigée par la chanteuse cubaine Argelia Fragoso, avait pour invitée Tania Libertad, qui a interprété un pot-pourri de la musique latino-américaine avec sa voix fascinante, ainsi que le compositeur et chanteur uruguayen Jorge Drexler, lauréat d'un Oscar, qui a superbement clos la 4e édition de la rencontre.
Les arts scéniques ont apporté des moments inoubliables, avec le Nederlander Worldguide Production, venu avec Broadway Rox, pour un
concert magnifique où on a pu entendre des thèmes des comédies musicales Hair, Cats, Mamma Mia !, Jésus Christ Super star ou Le fantôme de l'opéra, tandis que les Ballets de Monte Carlo sous la direction du chorégraphe Jean-Christophe Maillot a offert sa version du classique Cendrillon à la salle Avellaneda du Théâtre national.
À cette occasion, le ballet est venu à La Havane accompagné de la princesse Caroline de Monaco, sa présidente, qui a rendu visite à Alicia Alonso au Ballet national de Cuba.
LE CINÉMA, UNE PASSION À CUBA
Cette année, la production de longs métrages cubains – certains déjà diffusés – a été plus importante, avec une diversité thématique, de genre, de styles et de réalisateurs de différentes générations.
Neuf films étaient en compétition au récent Festival international du Nouveau cinéma latino américain : El acompañante, de Pavel Giroud ; La obra del siglo, de Carlos M. Quintela ; Espejuelos oscuros, de Jessica Rodriguez ; Caballos, de Fabian Suarez ; Café amargo, de Rigoberto Jiménez ; Bailando con Margot, d’Arturo Santana ; La cosa humana, de Gerardo Chijona ; Cuba Libre, de Jorge Luis Sanchez et Vuelos prohibidos, de Rigoberto Lopez. Autres films cubains sortis cette année, La emboscada, d’Alejandro Gil ; Fatima o el Parque de la Fraternidad, de Jorge Perugorria ; La pared de la palabras, de Fernando Pérez et La ciudad, de Tomas Piard.
Le nombre de films et de cinéastes de la région et d'autres pays, ainsi que l’affluence des cinéphiles on fait de ce Festival de cinéma, qui a attribué cette année le prix Coral au film chilien El Club, un moment à part de la vie culturelle cubaine.
LE LIVRE, UN PHÉNOMÈNE DE MASSE
La littérature et le livre tiennent également une place spéciale dans la vie culturelle cubaine. L'année commence traditionnellement avec le premier des grands événements culturels dans l'Île, le prix littéraire Casa de la Américas, qui tout au long de ses 56 années ininterrompues, n’a cessé de gagner en prestige. Preuve en est : l'intérêt croissant des auteurs à y participer. Cette année, plus de 652 textes étaient en lice.
Nous avons commencé par le public, vient maintenant le moment du lecteur. Même si les livres s'apprécient dans la solitude, la Foire internationale du livre provoque un phénomène de masse à La Havane, dans l’enceinte de la séculaire Forteresse de San Carlos de la Cabaña.
Lors de la dernière édition, les Cubains, connus comme des « lecteurs avides » ont dû faire une sélection entre environ 900 titres (plus de 3 300 000 exemplaires). L'Inde, qui fut le pays invité d'honneur, est arrivée avec 100 000 exemplaires, de 22 titres d'écrivains indiens.
SAISONS, PREMIÈRES, FESTIVALS DE DANSE
La Danse en 2015 a été marquée par une figure universelle, la prima ballerina assoluta Alicia Alonso, dont le 95e anniversaire a été fêté par un magnifique gala, conçu autour des personnages les plus remarquables qu’elle a dansés au cours de sa carrière. À titre de reconnaissance pour sa contribution à la culture cubaine et universelle, le gouvernement cubain a décidé de donner le nom d'Alicia Alonso au Grand théâtre de La Havane.
Avril est le mois de la danse par excellence à La Havane. Les saisons, les premières et les festivals se succèdent, non seulement dans les théâtres, mais aussi dans les rues et les parcs. Une frénésie qui satisfait danseurs et public. C'est aussi l'époque de la remise du Prix national de danse qui cette année a été décerné à Maria Elena Llorente, qui fut une prestigieuse première danseuse du Ballet national et aujourd'hui l’une de ses maîtres de ballet
On a pu apprécier la diversité des propositions qui caractérise l’île, notamment lors de la Journée internationale de la Danse, établie par l'Unesco en 1982, afin de fêter la naissance de Jean-Georges Noverre (1727-1810), innovateur, maître et créateur du ballet moderne.
Plus de trente compagnies, dont Habana Compas Dance, Ecos, Narciso Medina, le Ballet espagnol de Cuba et le Ballet du centre Prodanza dirigé par Laura Alonso, ont répondu aux attentes du public le plus exigeant.
N'oublions pas deux événements particulièrement captivants : le Festival international de danse en paysages urbains : Vieille Havane, ville en mouvement, organisé par la compagnie Retazos, dirigée par Isabel Bustos, Prix national de Danse, ainsi que le Festival La huella de España.
L'UNIVERS DES ARTS PLASTIQUES
La Biennale de La Havane, organisée par le Centre Wifredo Lam, est un événement au prestige confirmé qui convoque des artistes de dimension internationale. Sa 12e édition a transformé la ville en une immense galerie d’art exposant les œuvres de plus de 40 artistes invités, dont les pièces étaient intégrées au paysage de la ville, dans un dialogue direct avec le public.
Signalons également que les expositions se sont succédées tout au long de l’année, les arts plastiques contemporains ayant gagné un espace bien mérité dans le panorama culturel : Post-it ; concours et salon pour jeunes artistes aux galeries Galeano, Collage Habana et ARTIS 718 ; les expositions collectives Pintura Fresca II à la Galerie Habana et celle de Tomas Sanchez au Musée des Beaux-Arts.
La fin de l'année a été marquée par la Foire internationale de l'artisanat (Fiart), une exposition-vente où se sont retrouvées les expressions locales et étrangères les plus variées, mais aussi les chaussures, le textile, les meubles, les pièces en cire et en peau et d'autres manifestations de l'artisanat très recherchées par le public.
LE THÉÂTRE À L’HONNEUR
Les arts scéniques ont connu leur apogée lors du 16e Festival international de théâtre de La Havane où plus de 60 compagnies, 450 artistes de 22 pays et les comédiens cubains les plus renommés, ont défendu les courants et les esthétiques les plus divers depuis le théâtre expérimental jusqu’au théâtre traditionnel.
Cette édition a rendu hommage à Flora Lauten, Prix national de Théâtre 2005 et à sa compagnie Buendia qui a proposé la pièce Charenton, inspirée du classique Marat-Sade de Peter Weiss.
RÉUNIONS DES MINISTRES DE LA CULTURE
La Havane a accueilli trois réunions importantes, qui ont reconnu la signification de la culture comme voie indispensable de l'identité et de l'intégration des peuples : la 6e Réunion des ministres de la Culture de l'Alba (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) ; la 3e Réunion des ministres de la culture de la Celac (Communauté des États latino-américains et caribéens) et l'Atelier régional de l'Unesco.
Le bloc de l'Alba (Antigua-et-Barbuda, Bolivie, Cuba, République dominicaine, Équateur, Grenade, Nicaragua, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Saint-Kitts-et-Nevis, Venezuela) a adopté une déclaration réaffirmant leur engagement à renforcer l'intégration culturelle, préserver le patrimoine culturel et récompenser « le respect envers la diversité culturelle dans nos sociétés multiethniques, multiculturelles et plurilingues ».
Les ministres de la Culture de la Celac, 18 présents et autres représentants gouvernementaux, ont adopté un plan d'action culturel comprenant quatre axes de travail principaux, qui devra être mis en œuvre dans la période 2015-2020 et dans lequel chaque pays assume une fonction spécifique.
Le programme de l'Atelier de l'Unesco, dirigé par la directrice générale Irina Bokova, a inclus des thèmes concernant la défense, la conservation et la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel, la prévention et la lutte contre le trafic illicite de biens culturels et le respect de la diversité.
2015 : une année culturelle passionnante, au calendrier varié, qui s’achève avec une vaste programmation artistique du 20 décembre au
3 janvier à l’occasion du 57e anniversaire de la Révolution.




