
À Guanabacoa, municipalité située à une vingtaine de kilomètres du centre de La Havane, l'artiste aux multiples facettes Tomas Nuñez a restauré un bâtiment délabré et l'a transformé en maison, atelier, galerie et centre communautaire, un projet qu'il a appelé Corral Falso 259, du nom de l'avenue qui le borde.
L'inauguration de cette résidence centenaire, entourée de jardins verdoyants et luxuriants, et ornée de plusieurs de ses sculptures, a eu comme moment fort le vernissage de l'exposition que Nuñez – surnommé « Johnny » par ses amis et collègues – a à juste titre baptisée « Jardin ».
Événement collatéral à la 13e Biennale internationale d'art contemporain de La Havane, l’exposition comprend dix pièces de grand format, où, suivant son parcours déjà prestigieux, l’artiste assemble formes et éléments. Il assure : « j’ai opéré une sorte de virage dans mon œuvre, car j’incorpore la toile comme un support ou un fond, je dirais même théâtral, sur lequel je travaille à la recherche du volume. Je ne suis jamais satisfait quand je vois quelque chose de plat, c'est pourquoi je dis toujours que je ne suis pas peintre ».
À l'invitation de Tomas Nuñez, nous avons visité son atelier-galerie et parlé de l'exposition, de son œuvre et de son travail communautaire.
Votre œuvre s’inscrit-elle dans le thème de la Biennale : « La construction du possible » ?
Parfaitement, car le jardin de la maison et celui de l'exposition sont en construction depuis un certain temps. Il ne s'agit pas d'une allusion directe au roman « Jardin » de Dulce Maria Loynaz. J’utilise plutôt le jardin comme un interlocuteur, une sorte de méditation sur les arts et sur la possibilité de créer un espace différent à partir de certains déchets.
Recyclage artistique ?
J'ai commencé il y a de nombreuses années et sans m'en rendre compte, je me suis senti obligé de travailler avec des éléments recyclés. C'était peut-être à cause du manque de matériaux, mais depuis, j'utilise presque tout ce qui me tombe sous la main : céramique, verre, métal, papier, les objets dont les gens ne veulent plus.
Les couleurs ocres ?
D'une certaine façon, il s’agit de revaloriser tous ces éléments qui ont parfois une couleur et je les teinte de cette patine qui leur donne cette qualité, le « vécu » de l'objet ancien.
La beauté ?
Il se trouve que souvent que les gens associent les belles choses aux couleurs vives et gaies. Je vois les choses autrement. Un objet laid que j’ai trouvé dans la rue peut être beau à cause de sa signification, et d'autres pièces sont belles en raison de leur histoire. Les objets ont chacun leur histoire et ils ont parfois traversé les siècles pour arriver jusqu'à nous. J'aime la beauté en tous points de vue. Il y a de la beauté cachée dans chaque chose. L'obscur n'est pas laid, il a son sens, il procure un sentiment de paix, ce n'est pas toujours de la tristesse.
Votre processus de création ?
Je suis très spontané et je travaille avec une idée générale. Dans mon atelier, j'ai une sorte d'archives d’objets qu’il m’arrive de dénicher et que je conserve, avant de leur donner une utilité.
La composition ?
Il ne s’agit pas d’un enchevêtrement de choses; il n’y a pas de désordre dans la pièce. Chaque élément doit être à sa place.
« Jardin est, en fin de compte, une métaphore parfaite de la vie», conclut l'artiste. « Il faut le créer, en prendre soin, l’enrichir, il est toujours comme dans une construction possible. »
À cette 13e Biennale, Tomas Nuñez a également été invité aux expositions collectives d'art contemporain cubain, « HB », au Grand Théâtre de La Havane Alicia Alonso, et « De lo ceramico », au Castillo de la Real Fuerza. •
LA 13e BIENNALE
• Le vaste programme de la 13e Biennale offre à La Havane une approche singulière du panorama international et cubain des arts visuels contemporains.
Depuis le 12 avril et pendant un mois, la capitale cubaine, qui fêtera ses 500 ans, ouvre ses portes à plus de 200 artistes venus de tous horizons pour nous faire découvrir leurs propositions dans différents genres, installations, performances, art vidéo, peinture.
Margarita Gonzalez, sous-directrice de l'événement et du Centre d'art contemporain « Wifredo Lam », a souligné la présence de créateurs et créatrices en provenance du Portugal, du Brésil, de Colombie, d’Argentine, du Mexique, de France, du Pérou et d’Espagne.
« La construction du possible », tel est l'axe curatorial de cette édition, un thème très large traité sous différents angles : l'écologie, les relations interpersonnelles et l'échange de savoirs, pour « comprendre la situation de l'Homme dans le monde contemporain, les migrations et bien d’autres questions qui concernent la société ».
Le noyau de la Biennale compte un groupe d'environ
80 artistes étrangers et cubains (17) sélectionnés par l'équipe curatoriale, avec des œuvres qui dialoguent avec le thème choisi et qui ont été installées dans les institutions du Conseil des arts plastiques, le Bureau de l'Historien, le Musée de Guanabacoa et le Pavillon Cuba.
Des expositions collatérales et des projets collectifs tels « Detras del Muro » (Derrière le mur), créé en 2012 et continué en 2015 dans le cadre de l'exposition officielle, se distinguent également par leurs œuvres qui prônent l'insertion de l'art dans l’un des espaces publics les plus importants de la capitale, le Malecon (Promenade du Front de mer).
D'autres propositions collectives peuvent être admirées au Musée national des Beaux-Arts, à l’espace culturel communautaire, Factoria Habana, à l'Université des arts (ISA) et le long du très intéressant Couloir culturel de la rue Linea, qui vient d’être inauguré dans les institutions culturelles de cet axe central du quartier du Vedado, et devrait être achevé dans trois ans.