ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN

Comme il serait beau et juste que ce 27 novembre, inclus de manière organique, une fois pour toutes, les jeunes qui commémorent le 152e anniversaire de l’exécution des étudiants en médecine, honorent les Noirs qui tentèrent de les sauver de la fureur criminelle des troupes coloniales. Huit avec des noms et des prénoms ; et cinq autres, au moins, dans un anonymat forcé et pervers. Tous, pour reprendre les mots de José Marti, sont des « cadavres aimés ».
Invité à la cérémonie qui eut lieu dans l'auditorium de l'Université de La Havane, 90 ans après l'assassinat, le commandant Ernesto Che Guevara, après avoir rendu hommage au sang des étudiants fusillés, déclara : « La découverte de cinq cadavres de Noirs abattus à coup de baïonnette et par balles apparaît dans les procès-verbaux comme une nouvelle sans intérêt qui, même de nos jours, reste assez reléguée parce qu'elle n'avait d'importance pour personne. »
Avec son proverbial sens de la justice et sa suprême orientation éthique, le Che aborda la question pour que ce geste ne reste plus dans le vide, car il avait certainement connaissance de la référence archivée dans la correspondance d'Emilio Roig de Leuchsenring, Historien de la ville, qui, le 18 janvier 1941, adressa une communication au ministre des Travaux publics de l'époque, dans laquelle il demandait que « des ordres soient donnés pour que, dans le parc des martyrs, un hommage permanent soit rendu à la mémoire de ceux qui payèrent de leur vie la défense de ces innocents, près du pavillon qui entoure le pan de mur près duquel les étudiants tombèrent en 1871 ».
Dans une république qui avait frustré les rêves de Marti et où se reproduisait le racisme hérité de la colonie, le projet de Roig ne vit jamais le jour. À cela s'ajoutaient les préjugés d'une historiographie d’orientation positiviste, dans laquelle tout ce qui n'était pas strictement documenté était condamné à la non-reconnaissance. On ignora le rôle de la tradition orale, de la mémoire, du patrimoine qui se concrétise dans la transmission d'une génération à l'autre, à tel point que certains doutent et n’en finissent pas d’admettre ce qui a été dévoilé au fil du temps.
Les sociétés abakuas ont gardé le cap et ont conservé précieusement l'héritage de la tentative de sauvetage inégale et épique des étudiants. En effet, ce sont des membres de cette fraternité qui se sont immolés ce jour-là. En 1971, Manuel Cuéllar Vizcaino, journaliste passionné et ami de Nicolas Guillén, publia dans la revue La Gaceta de Cuba, de l'Union des écrivains et artistes de Cuba (Uneac) (n° 89), un article révélateur intitulé Un movimiento solidario con los ocho estudiantes de Medicina (Un mouvement solidaire avec les huit étudiants en médecine), dans lequel il citait des sources documentaires fragmentaires mais illustratives, et il suivit la piste d’éléments fournis par les dirigeants des sociétés de La Havane.
Dans la même revue de l’Uneac (n° 5, sept. 1998), l'écrivain, chercheur et activiste social Serafin Tato Quiñones a approfondi le sujet dans le texte Historia y tradicion oral en los sucesos del 27 de noviembre de 1871 (Histoire et tradition orale dans les événements du 27 novembre 1871). Pour que cela ne reste pas lettre morte, depuis 2006, Tato, accompagné de jeunes intellectuels et religieux, organise une marche jusqu’à l'intersection des rues Morro et Colon, où, à l'ombre d'un jagüey, de façon très modeste, on se souvient des ñáñigos (membre de la société abakua) anonymes, puisque c’est près de lui que le cinquième héros de cet acte donquichottesque fut assassiné.
Depuis lors, chaque année, la commémoration a gagné en participation et en perspective. Le Conseil suprême Abakua et d'autres organisations de la société civile parrainent l'initiative, à laquelle se sont également joints le Bureau de l'Historien de la ville et la Commission José Antonio Aponte, de l'Uneac, les fondations Fernando Ortiz et Nicolas Guillén, ainsi que le gouvernement de la capitale. Il ne s'agit pas d'une célébration religieuse, mais patriotique. Ces dernières années, des étudiants de nos campus universitaires y ont participé, ainsi que beaucoup de gens du peuple qui voient dans ce rendez-vous une occasion de réflexion nécessaire. Les appels de la maison de l’Afrique et d'intellectuels tels que Ramon Torres Zayas et Sinesio Verdecia, ainsi que les efforts du député Orlando Gutiérrez Boza, ont également toute leur importance.
Le sous-programme sur la mémoire historique du Programme national de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, approuvé en novembre 2019 et dont les résultats sont encourageants, peut et doit faire beaucoup pour promouvoir, populariser et imprégner de cohérence une commémoration qui renforce la couleur cubaine de notre identité.