ORGANE OFFICIEL DU COMITÉ CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE CUBAIN
Photo: Liborio Noval

Presque au début du magnifique et troublant roman d'Alejo Carpentier, Le partage des eaux, le protagoniste arrive dans une salle de concert et, tandis que l’on installe les instruments d'un orchestre symphonique, il pense :
« ...sous les couvercles des partitions étaient imprimés en signes les directives des hommes qui, même morts, gisant sous des mausolées pompeux ou comme des os perdus dans le désordre sordide de la fosse commune, conservaient des droits de propriété au-delà du temps, imposant aux hommes de l'avenir des moments d'attention ou de ferveur... ».
En relisant ce passage, il est impossible de ne pas faire le parallèle entre ces grands musiciens et l'écrivain : 120 ans après sa naissance, Carpentier continue à capter l'attention des lecteurs (pour le plaisir, ou pour la recherche) et à susciter la ferveur de l'admiration et de l'enthousiasme. Il n'est pas difficile de prévoir que son droit à s'approprier le temps se poursuivra au fil des époques successives.
Chacun apportera ses propres raisons après l'acte intime de la lecture, mais il est impossible d'ignorer que Carpentier était un génie, par son style, par ses innovations, par la profondeur de ses approches littéraires, historiques et philosophiques, bref, par la création dans presque tous ses livres d'univers puissants, achevés, transformateurs pour les autres.
Ce fut en outre un travailleur acharné, aux multiples facettes, et consacré aux rêves qu'il croyait valables. À l'opposé de la vision stéréotypée que l’on avait de lui et qui a gagné du terrain, celle d'un sage méditatif au lexique écrasant, ses proches le décrivaient comme un homme timide avec les étrangers et très joyeux lorsqu’il se sentait en confiance, sans médisance, ayant toujours quelque chose de positif à dire sur ses amis et sur ses adversaires.
Alejo décida d’abandonner  le confort pour revenir sur l'Île et y tenter sa chance avec la jeune Révolution, réelle et merveilleuse.  Il milita au Parti communiste et consacra à la cause nombre de ses efforts, y compris littéraires, jusqu'à sa mort.
En l'évoquant, son ami Roberto Fernandez Retamar nous a rapprochés de l'essence de l'auteur de Retour aux sources : « Ce qui impressionnait le plus chez ce créateur de génie, ce sage insondable, c'était que, couronnant ses vertus, il fut, pour reprendre les mots d'Antonio Machado, un homme “dans le bon sens du terme, bon”. Beethoven avait déjà écrit qu'il ne connaissait d'autre supériorité que la bonté. La bonté fut le summum de la grandeur d'Alejo ».