Le 13 mai a marqué le 160e anniversaire de l’invasion du Mexique par les troupes des États-Unis en 1846, sous le mot d’ordre Remember El Alamo, qui deux ans plus tard déboucha sur le traité Guadalupe Hidalgo.
Le 13 mai a marqué le 160e anniversaire de l’invasion du Mexique par les troupes des États-Unis en 1846, sous le mot d’ordre Remember El Alamo, qui deux ans plus tard déboucha sur le traité Guadalupe Hidalgo.
À l’instar de l’explosion de l’USS Maine à Cuba, El Alamo est évoqué par les historiens mexicains, et aussi par de nombreux spécialistes étasuniens, comme un prétexte utilisé pour déclencher la guerre d’expansion du Texas qui allait priver le Mexique de près de la moitié de son territoire. L’administration de James Knox Polk, 11e président des États-Unis, se servit de l'animosité des colons du Texas d'origine nord-américaine et de son propre gouvernement pour arracher au Mexique les États du Texas, de Californie, de l’Arizona, du Nouveau Mexique et d’autres régions.
Durant la campagne électorale de 1844, Polk, qui avait été élu gouverneur dans le Tennessee, principal centre de l’émigration texane, avait basé sa plateforme politique, en sa qualité de candidat du Parti démocrate, sur un ambitieux programme expansionniste qui incluait l’annexion de territoires britanniques comme le Canada, ainsi que la colonisation, par l’achat ou la conquête, du Texas et du Nouveau Mexique. Leur projet d’expansion vers le nord, qui avait pour cible le Canada, fut avorté par la résistance locale. Farouche partisan de la doctrine de Monroe et résolument expansionniste, Polk fut finalement élu par le collège électoral malgré un vote populaire à peine en sa faveur.
Un de ses objectifs était de repousser la frontière sud par l'annexion du Texas et le rachat de la Californie, ce que refusait le Mexique et qui impliquait donc une guerre.
« Notre confédération est le nid destiné à peupler l’Amérique au nord et au sud. Mais gardons-nous d’exercer trop tôt une pression sur les Espagnols. L’immense territoire qu’ils occupent ne peut être provisoirement en de meilleures mains. Toute ma crainte, c’est qu’ils ne soient trop faibles pour le conserver jusqu’au jour où notre population sera en état de le leur enlever pièce par pièce ». Ces paroles de Thomas Jefferson étaient un reflet des croyances apportées par les puritains anglais en Amérique pour fonder les treize colonies qui allaient donner naissance aux États-Unis.
Le « nid » dont parlait Jefferson se transforma en une croyance quasi-religieuse et en un fait politique. Les États-Unis se présentaient comme le pays élu par Dieu pour, de gré ou de force, étendre leur territoire et asseoir leur domination dans le monde. Pour le 2e président, John Quincy Adams, tout le continent devait être peuplé par une seule nation parlant une même langue et se réclamant des mêmes principes religieux et économiques. La doctrine du 5e président, James Monroe « l’Amérique aux Américains » (sous la stricte surveillance de Washington) visait à entériner le droit des États-Unis à intervenir dans tous les pays du continent et de s’approprier les vestiges du colonialisme européen.
Le 7e président Andrew Jackson avait déclaré que Dieu avait choisi les Étasuniens comme les seuls gardiens de la liberté, et qu’ils avaient le devoir d’intervenir là où cette liberté n’existait pas. Ainsi fut conçue l’idée de la Destinée manifeste : occuper et « civiliser » les territoires inhabités ou peuplés par les indigènes, les métisses ou les catholiques espagnols, comme l’affirmait en 1845 le diplomate et journaliste John L. O'Sullivan dans le magazine new-yorkais Democratic Review : « Le droit de notre Destinée manifeste de posséder le continent américain dans son entier, continent que nous a donné la providence pour y développer la grande expérience de liberté et de gouvernement fédéral qui nous a été confiée. C’est notre droit comme est celui de l’arbre d’avoir accès à l’air et la terre pour se déployer et accomplir sa destinée ».
À partir de la fin du 18e siècle au Mexique et au début du 19e siècle à Cuba, les Anglo-américains commencèrent leur expansion et à envahir et occuper la partie ouest de l’Amérique du Nord qui était peuplée par les Indiens et les Espagnols. Le moyen utilisé : la guerre ou la menace de la guerre, une justice des vainqueurs et la conquête graduelle des territoires convoités. Ils utilisaient comme prétexte, entre autres, que les Indiens, amis des Espagnols, les harcelaient, commettaient des atrocités, et que les chefs militaires espagnols les aidaient et les excitaient contre les colons, obligeant ces derniers à intervenir pour les mettre hors d’état de nuire. La politique des États-Unis visait à expulser massivement les tribus de leurs terres natales, les refouler de l’autre côté de la frontière. Déjà en 1812, Don Luis Onis, ministre espagnol auprès des États-Unis, mettait en garde le vice-roi Francisco Javier Venegas contre les intentions des États-Unis de fixer leur frontière à l’embouchure du Rio Norte ou Bravo, « ce qui reviendrait à perdre les provinces de Tejas, Nueva Santander, Coahuila, Nouveau Mexique et une partie de la province de Nueva Vizcaya et La Sonora ». Ils incluaient dans ces limites l’Île de Cuba. Les méthodes utilisées rappellent celles de Napoléon Bonaparte ou de l’Empire romain dans leurs conquêtes : « la séduction, l’intrigue, les émissaires, et créer et attiser les dissensions dans nos provinces sur ce continent. »
Le 22 février 1819, les États-Unis conclurent le Traité Adams-Onis avec l’Espagne qui allait définir les frontières entre les deux pays en Amérique du Nord, et en vertu duquel les frontières du Texas furent modifiées à l’avantage des États-Unis.
La méthode généralement utilisée consistait à s’emparer de territoire par la force pour ensuite négocier une éventuelle cession. Dans son livre World Order, Henry Kissinger souligne qu’aux États-Unis, la Doctrine Monroe est interprétée comme la poursuite de la Guerre d’indépendance. « Aucune nation d’Amérique latine ne fut consultée lorsque les frontières de notre nation s’étendirent sur le continent. L’expansion de l’Amérique (les États-Unis) fut perçue comme l’effet d’une sorte de loi naturelle. Quand les États-Unis pratiquèrent ce qui dans n’importe quel autre pays est défini comme impérialisme, les Américains lui donnèrent un autre nom : le devoir découlant de notre destinée manifeste de nous étendre, d’arroser le continent qui nous a été concédée par la Providence pour le libre développement de notre multiplication annuelle de millions. L’acquisition de vastes portions de territoires appartenant à la France fut traitée comme une transaction commerciale pour l’achat du territoire de Louisiane, et comme une conséquence inévitable de notre destinée manifeste dans le cas du Mexique. Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle, lors de la Guerre hispano-américaine (cubaine) de 1898, que les États-Unis s’engagèrent à une échelle totale dans des hostilités transocéaniques d’une puissance accrue. » (1)
Des milliers de colons nord-américains arrivèrent au Texas et formèrent des communautés quasi-autonomes qui finirent pas écraser et soumettre la population mexicaine. Kissinger ajoute que les intérêts des colons nord-américains, qui pratiquaient l’esclavage, et dont l’économie reposait sur la culture du coton et du tabac, comptaient sur le soutien des États esclavagistes du Sud, pour qui l’annexion de nouveaux territoires représentait une occasion de disposer de nouvelles terres d’exploitation pour s’enrichir.
Une loi mexicaine interdisait l’entrée de colons nord-américains, mais elle ne changea presque rien, si bien que l’immigration de gens venus du nord créa un pouvoir réel face au gouvernement mexicain.
Le moment de mettre en pratique les rêves expansionnistes longuement nourris se présenta avec la séparation du Texas d’avec le Mexique. Les colons nord-américains répondirent à l’hospitalité mexicaine en réclamant des droits acquis pour justifier l’intervention du gouvernement des États-Unis. En 1833, ils dépêchèrent une représentation auprès du Congrès mexicain pour demander la concession du Texas en tant que « République indépendante du Coahuila ». Par la suite, le droit du Texas à se séparer du Mexique et à se doter d’un gouvernement indépendant.
SEPT PRÉSIDENTS AUX VELLÉITÉS IMPÉRIALES
En février 1844, un armistice formel fut signé entre le Texas et le gouvernement mexicain à Santa Anna, et des négociations étaient engagées avec les Britanniques en vue de la reconnaissance de l’indépendance de ce territoire. Mais les Texans ignorèrent l’armistice lorsque le 10e président, John Tyler, demanda l’annexion du Texas aux États-Unis dans le but de freiner la croissante influence anglaise.
Lors de l’annexion, le 1er mars 1845, le gouvernement mexicain, qui n’avait pas reconnu l’indépendance, éleva ses protestations, car il avait averti que l’annexion serait considérée comme un acte hostile et un motif suffisant pour une déclaration de guerre. Bien que les États-Unis aient été frappés par une crise économique et que la Grande Bretagne s’employait à freiner l’expansionnisme nord-américain, le Mexique ne fit aucune tentative pour récupérer le Texas. L’instabilité politique et le manque de ressources empêchèrent toute tentative et allaient jouer en faveur des intérêts des esclavagistes et des spéculateurs de terres du nord.
POLK TRANSFORMA LE TEXAS EN UNE RÉPUBLIQUE
Lors de sa prise de fonctions, le 14 mars 1844, le président James K. Polk déclarait que l’annexion de la République du Texas résultait d’une décision mutuelle entre deux nations indépendantes : les États-Unis et le Texas, et non pas entre son pays et le Mexique.
« Le gouvernement (des États-Unis) n’a rien eu à voir avec la prise du Texas par les anglophones. Les frontaliers l’ont conquis par eux-mêmes, sans l’aide des hommes d’État, ni des soldats qui recevaient des ordres de Washington. » (2)
Théodore Roosevelt affirma lui aussi que le Texas agissait pour son propre compte et que le gouvernement de Washington n’y était pour rien dans sa séparation du Mexique. Mais l’histoire apporte un démenti à cette assertion. « Thomas Jefferson et Andrew Jackson jouèrent un rôle très important, voire décisif, surtout Jackson, dans l’annexion du Texas par les États-Unis. » (3)
Dans ces circonstances qui assuraient la victoire, Polk conçut une « petite guerre » avec le Mexique pour s’emparer de la Californie et du Nouveau Mexique, afin de l’obliger par les armes à vendre ces territoires. Pour justifier sa guerre, il opta pour monter une mise en scène pour faire passer le Mexique comme le pays agresseur. Il chercha un prétexte dans les problèmes limitrophes entre le Texas et le Mexique, car, alors que les Texans voulaient que la frontière commune soit le Rio Grande, ce qui augmentait leur territoire jusqu’à des villages comme Taos, Santa Fe et El Paso, les Mexicains voulaient que ce soit le Rio Nueces.
Pour soutenir les Texans, en janvier 1846, le gouvernement des États-Unis envoya des troupes commandées par le général Zachary Taylor avec l’ordre d’avancer en direction du Rio Bravo pour y construire le Fort Brown (aujourd’hui Brownsville), sur la rive nord du fleuve, face à la ville mexicaine de Matamoros. En janvier 1846, il donna l’ordre au général Taylor d’avancer depuis la baie de Corpus Christi vers les rives du Rio Bravo. Deux mois plus tard, Taylor se retrancha avec ses troupes devant Matamoros, dont les Mexicains préparaient la défense. Le général Arista somma Taylor de se retirer jusqu’à Rio Nueces et, face à son refus, l’armée mexicaine traversa le Rio Bravo pour couper les lignes ennemies, entre les fortifications du Rio Bravo et le Fronton de Santa Isabel. Le 25 avril 1846, à Rancho Carricitos, la cavalerie mexicaine mit en déroute une patrouille commandée par le capitaine Thorton. Le président Polk prendra prétexte de cet incident pour déclarer la Guerre américano-mexicaine.
Après l’entrée des troupes nord-américaines en territoire mexicain à la suite de plusieurs escarmouches, le président Polk envoie un message au Congrès, dans lequel il signale : : « Le Mexique a envahi notre territoire et versé le sang américain sur le sol américain, j'invoque l'intervention urgente du Congrès pour qu'il reconnaisse officiellement l'existence de la guerre. »
Les forces mexicaines subissent leurs deux premières défaites, dans le nord-est du pays, à Palo Alto et à Resaca del Guerro ou de la Palma, le 8 et 9 mai. Le gouvernement mexicain accepte de reconnaître l’indépendance du Texas s’il n’y a pas d’annexion, mais le 4 juillet 1845, leTexas devient un État des États-Unis.
Le président Polk envoya le diplomate John Slidell en tant que ministre plénipotentiaire, ce qui impliquait la reprise des relations entre les deux pays, qui dans ces circonstances ne pouvait pas être acceptée. Le président Herrera refusa de recevoir l’émissaire nord-américain. Par ailleurs Slidell avait l’instruction d’exiger la reconnaissance du Rio Bravo et non pas du Rio Nueces comme la frontière du Texas, et de faire pression pour qu’on lui vende la Haute Californie (qui comprenait les actuels États de Californie, Arizona, Nevada, Utah et une partie du Wyoming, du Colorado et du Kansas) pour la somme de 25 millions de pesos, et 5 millions pour le Nouveau Mexique. En théorie, la guerre dura deux ans, mais en réalité elle fut beaucoup plus courte. En dépit des négociations nord-américaines, tous les présidents qui s’étaient succédé jusqu’ici n’avaient pas caché, loin s’en faut, leur arrogance et leurs velléités impériales. D’où la célèbre phrase mexicaine : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis. »
(1) Henry Kissinger. L’ordre mondial. Penguin Press. New York. 2014, p.240.
(2) Ramiro Guerra. La Expansion Territorial de los Estados Unidos. Editorial Ciencias Sociales. La Habana 2008, pp. 49-50.
(3) Ibidem.






