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epuis le 28 avril, la Colombie connaît des journées de grande tension. Les images de terreur et de désespoir envahissent les médias et les réseaux sociaux.
L'une des scènes qui a le plus choqué l'opinion publique internationale est celle montrant un hélicoptère volant à une quinzaine de mètres du sol et ouvrant le feu sur des manifestants dans la ville de Buga, dans le Département de Valle del Cauca.
Le nombre de morts, établi à 31 par l'Institut d'études sur le développement et la paix (Indepaz), est également frappant. La plupart de ces personnes ont été tuées par l'Escadron mobile anti-émeute de la Police nationale (Esmad). Le rapport d'Indepaz indique également que les meurtres présumés de deux autres hommes et d'une femme font toujours l'objet d'une enquête, tandis que le nombre de blessés, 87 disparus et 18 personnes blessées aux yeux à la suite des violences policières est estimé à plus de 1 200.
À cette situation s'ajoute la crainte d'une éventuelle déclaration d'état de troubles intérieurs, une figure envisagée à l'article 213 de la Constitution, à laquelle les présidents ont recours lorsque la situation de l'ordre public sur le territoire devient incontrôlable. Si elle est approuvée, elle permettra au président Ivan Duque de suspendre les gouverneurs régionaux, de restreindre les manifestations sociales, de prendre le contrôle de la radio et de la télévision pour une période maximale de 90 jours, en plus d'autoriser les forces de sécurité à effectuer des inspections à domicile sans avoir besoin d'une ordonnance judiciaire préalable.
« La semaine noire de l'uribisme incarné par Duque », voilà comment El Espectador qualifie ces journées de protestations.
Les manifestations se multiplient dans presque toutes les villes du pays. À Cali, une veillée a été organisée en hommage aux personnes tuées pendant la grève. À Medellin, plusieurs usagers signalent l'arrivée de membres des forces de l’ordre et d'un char anti-émeute, qui ont procédé à l’extinction de l'éclairage public.
Par ailleurs, à Pasto, dans le Département de Nariño, l'Esmad a dispersé des manifestants avec des gaz lacrymogènes et des bombes assourdissantes. À Cartagena, la journée de manifestation s'est déroulée sans troubles publics.
À Barranquilla, des affrontements ont eu lieu entre des manifestants et l'Esmad. Une émission en direct a montré comment un jeune homme a été pris de convulsions après avoir été blessé par un canon à eau antiémeute.
POURQUOI LES MANIFESTATIONS SE POURSUIVENT-ELLES ?
Les deux principales revendications pour lesquelles les Colombiens étaient descendus dans la rue ont déjà été satisfaites : la réforme fiscale a été abrogée et le ministre des Finances, Alberto Carrasquilla, a démissionné. Cependant, les manifestants affirment que « la grève continue » afin d'obtenir une société plus juste.
Parmi les revendications du Comité national de grève figurent une économie plus égalitaire, un changement du modèle économique inéquitable et excluant de la nation, ainsi que la promotion de mesures de lutte contre les inégalités, la pauvreté et le clientélisme.
Les manifestants exigent également une réforme de la police, notamment le démantèlement de l'Escadron mobile anti-émeute.
Ils souhaitent également une meilleure application de l'Accord de paix signé en 2016 entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les FARC-EP.
La population a gagné en se mobilisant en masse pour manifester son mécontentement. Cependant, il existe de nombreux problèmes aggravés par un modèle néolibéral dans lequel 7,6 millions de personnes vivent dans une pauvreté extrême, selon le Centre stratégique de géopolitique d'Amérique latine, situation accentuée par la crise sanitaire provoquée par la COVID-19.
Ces événements interviennent dans une année préélectorale, où toutes les formations politiques commencent à penser et à agir en fonction de leurs électeurs, ou de leurs propres intérêts.
QUE DIT-ON DANS LE MONDE ?
La Haut-Commissaire des Nations unies aux Droits de l'Homme, Michelle Bachelet, s'est dite préoccupée par les violations des droits de l'Homme dans des villes comme Cali. « Nous exprimons notre solidarité avec ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés, ainsi qu'avec leurs familles », a-t-elle déclaré.
Pour sa part, l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique-Traité de commerce des peuples (ALBA-TCP) a condamné l'usage excessif de la force et le climat répressif déclenché en Colombie à la suite des manifestations sociales, qui « ont provoqué des victimes de violence physique, des détentions arbitraires, des plaintes pour disparitions, pour abus sexuels et ont fait environ 31 morts et plus d’un millier de blessés ».
Dans son appel aux autorités de ce pays à « protéger les droits de l'Homme, le droit à la vie et à la sécurité personnelle », le bloc régional a souligné que le recours à la violence ne remédie pas aux causes structurelles des situations d'injustice sociale.
De même, l'Union européenne (UE) a condamné la violence et l'usage « disproportionné » de la force contre les manifestations, estimant qu'il était impératif de contenir l'escalade de la situation, a déclaré le porte-parole du Service européen d'action extérieure, Peter Stano, qui signalé que le bloc européen compte sur les institutions colombiennes pour « enquêter et traduire en justice les responsables de violations des droits humains et des libertés ».
L'Association cubaine des Nations unies, une entité qui regroupe plus d'une centaine d'organisations de la société civile de l'archipel, s'est jointe, avec l'Institut cubain d'amitié avec les peuples, aux nombreuses voix de la solidarité dans le monde.
De leur côté, les États-Unis ont exhorté les forces de l'ordre colombiennes à faire preuve d'un « maximum de retenue » pour éviter de nouveaux décès, a déclaré la porte-parole adjointe du Département d'État, Jalina Porter, lors d'une conférence de presse, selon L'AFP.
Le Bureau de Washington sur l'Amérique latine, Wola, une organisation non gouvernementale dans ce pays, a également condamné le recours à la force par l'Escadron mobile anti-émeute et d'autres unités de police, ainsi que les déclarations hostiles de hauts fonctionnaires et de politiciens influents, dont celle de l'ancien président Alvaro Uribe qui incite constamment à la violence.
Le mouvement social de ce pays d'Amérique du Sud, Congreso del Pueblo, a annoncé sur son compte Twitter que plus de 130 organisations politiques et mouvements sociaux de Notre Amérique ont appelé à « la solidarité la plus énergique avec le peuple colombien, qui résiste et fait face avec héroïsme à la brutale répression policière ».
L'organisation non gouvernementale Save the Children a également exprimé son inquiétude et son indignation face aux actes violents qui se sont produits, dans lesquels des enfants et des adolescents ainsi que leurs familles sont impliqués et affectés.
En outre, 10 000 enseignants colombiens demandent aux Forces armées et à la Police nationale de mettre immédiatement un terme à la violence et que les responsables des crimes commis contre la population civile fassent l'objet d'une enquête et soient traduits en justice et sanctionnés.






