
Si ce n’était le hidjab, ce voile porté par certaines femmes musulmanes, on pourrait parfaitement prendre cette jeune femme médecin pour une Cubaine, au vu de ses gestes, de sa démarche, de sa facilité à communiquer, à sourire et à nouer des liens et à se faire des amis, où qu’elle aille.
Même si cette « très grande sociabilité » n’est pas l’apanage des habitants de cette Île des Caraïbes, ceux qui débarquent sur cette terre depuis d’autres rivages savent que la chaleur humaine qui émane de nous laisse une empreinte permanente dans leur cœur.
C’est ce qu’a confié à Granma la Dre Sarah Almusbahi, médecin étasunienne d’origine yéménite qui fait partie des 11 étudiants qui, à la fin du mois de juillet, ont fêté l’obtention de leur diplôme à Cuba, grâce au programme de bourses de l’École latino-américaine de médecine (ELAM), et à la Fondation interreligieuse pour l’organisation communautaire (IFCO)-Pasteurs pour la Paix.
« JE PARS POUR L’ÎLE »
« En fait, j’ai toujours voulu étudier la médecine, car c’était un moyen de venir en aide aux gens des quartiers pauvres aux États-Unis. Mais je ne savais pas comment m’y prendre. Je cherchais une occasion d’étudier de manière à ne pas avoir à faire une demande de prêt, une voie obligée pour le niveau social d’une famille de travailleurs, tout en évitant de nous mettre en difficulté, sans devoir m’enliser dans des dettes. »
C’est ainsi que Sarah se souvient de ses motivations pour faire des études de médecine à Cuba et non aux États-Unis. Elle explique qu’au moment où elle a décidé de devenir une «international doctor», il n’y avait pas dans son pays un grand programme de bourses auquel elle aurait pu postuler.
« À la recherche d’options, j’ai trouvé Cuba, l’Île. J’ai lu presque tout ce qui existait sur internet. J’ai visionné les vidéos de l’ELAM sur YouTube, et je me suis dit que cela ne pouvait pas être réel. C’était exactement ce que je cherchais ! » Malgré son incrédulité, Sarah raconte qu’elle a réussi à contacter un diplômé de l’ELAM qui exerçait aux États-Unis, lequel lui a confirmé ce qu’elle avait appris dans ses recherches. « Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion de réaliser mes rêves, je me suis dit : Je me lance. Je pars pour l’Île ! »
L’UNIVERSITÉ, L’ÉNERGIE CUBAINE
« Mon parcours universitaire m’a beaucoup marquée. Je suis venue étudier la médecine et j’ai pu atteindre mon objectif de vie. J’ai été encadrée par des professeurs passionnés, jusque dans la manière de se déplacer. En dépit des difficultés, ils donnent tout, ils inspirent. Je me souviens de la rectrice de l’ELAM, qui répétait sans cesse : "À Cuba, nous ne donnons pas ce que nous avons en trop, mais nous partageons ce que nous avons.", dit-elle.
Et d’ajouter : « Le fait de côtoyer des étudiants venus du monde entier est quelque chose d’unique. Nous apprenons d’eux, ils apprennent de nous. Cet échange est très riche. Et je pense que cette expérience va m’aider à devenir le médecin que je veux être, capable d’interagir avec les patients, où qu’il soit ».
« Autre chose de spécial également : les stages. Dès les premières années, nous travaillons dans les cabinets médicaux, les polycliniques, au sein de la communauté, nous interagissons avec les patients. Et même si nous n’avons pas encore toutes les connaissances et les compétences requises, nous grandissons en tant que professionnels à travers la relation médecin-patient. Nous devons connaître la science, certes, mais le plus important, c’est de savoir interagir avec un être humain et le voir d’une manière compréhensive, holistique ; il ne s’agit pas seulement de traiter une maladie. À Cuba j’ai appris à guérir le corps en regardant avec mon âme.
« Dès la troisième année, nous avons commencé à avoir nos propres patients et à assumer davantage de responsabilités, à communiquer davantage avec eux. C’est à ce stade que nous avons appris le "cubagnol", précise-t-elle en pouffant de rire. Les patients cubains, l’énergie cubaine en général, sont une énergie résiliente. Les gens sont toujours disponibles, et cela fait partie de la culture cubaine, ce qui nous aide beaucoup dans la formation. Je sais que cette énergie va me manquer. »
L’HUMANISME DES « BLOUSES BLANCHES »
« Venir à Cuba et apprendre l’espagnol est aussi quelque chose que j’apprécie grandement. Aux États-Unis, beaucoup de gens ne parlent pas anglais, ou plutôt ils le parlent, mais ce n’est peut-être pas leur langue principale. Donc, parler espagnol, pouvoir revenir, travailler avec des gens hispanophones et prendre soin d’eux dans leur langue, c’est quelque chose de très important pour moi. Ma famille est originaire du Yémen. Nous parlons arabe. Je sais ce que c’est de grandir et de voir sa famille aller chez le médecin, où on ne la comprend pas, ce sentiment d’insécurité....
« Contrairement à ici, dans mon pays les gens n’ont grande confiance dans le système de santé, car les valeurs de l’humanisme et d’autres approches qui aident à comprendre le patient, ne font pas partie de la base de la médecine. C’est quelque chose de plus lucratif, ils cherchent toujours à gagner de l’argent.
« Je me souviens l’époque de la COVID, une période qui a été traumatisante pour tous. Ici nous avons vécu et apprécié à sa juste mesure l’ampleur de l’approche communautaire, conscients du fait que pour aller de l’avant il faut collaborer, il faut être solidaire et essayer d’être le plus positif possible. Par contre, aux États-Unis la situation était complexe, parce que chacun faisait ce qu’il voulait, chacun pour soi. Certaines personnes refusaient se faire vacciner.
« À Cuba, tout le monde a été vacciné, le pays était organisé, parce qu’ici les gens ont confiance dans le système de santé. Nous l’avons constaté, surtout pendant cette période. C’est pourquoi mon pays doit se concentrer sur les problèmes internes.
« Le blocus exercé contre Cuba, contre le peuple cubain, n’a aucun sens. Si les États-Unis disent vouloir la démocratie, les échanges, le dialogue... alors, pourquoi imposent-ils des sanctions ? Leurs actions sont en totale contradiction avec leurs dires.
Sarah dément les affirmations de certains médias hégémoniques sur les missions médicales cubaines. « On ne peut pas se fier à cela. Si quelqu’un veut s’informer, il doit s’enquérir auprès des spécialistes cubains de la santé. La médecine cubaine et l’esprit cubain, de manière générale, sont internationalistes ».
« J’AIMERAIS EMPORTER UN PEU DE LA CULTURE D’ICI »
« Mon projet est de revenir aux États-Unis pour postuler à un programme de résidence et travailler au sein de communautés vulnérables, car il y en a beaucoup chez nous. Nous avons toutes les ressources, mais il y a des gens qui n’y ont pas accès. C’est ce que je veux faire.
« Je serai probablement confrontée à des nombreux obstacles. Certains n’aiment pas le pays où j’ai fait mes études, ni ma philosophie. J’entends continuer dans cette voie, parce que c’est quelque chose dont nous avons besoin. J’ai appris avec les Cubains que la vie est une épreuve, et qu’il faut toujours se battre, se relever après chaque chute et ne pas baisser les bras..
« J’aimerais emporter un peu de la culture d’ici. Les gens sont très gentils, il y a de l’amour partout où tu passes dans la rue. On te dit : " Oh, comment tu vas, ma vie ?" ou quand tu appelles quelqu’un au téléphone : "Ah, ma vie, raconte-moi ! " C’est une attitude que l’on ne voit pas beaucoup ailleurs.
« Et de ces relations sociales sont nées des études sur la façon dont elles influencent la santé, car il y a des patients présentant des facteurs de risque qui ont besoin d’un traitement spécial.
« Aux États-Unis, cette culture d’avoir toujours quelqu’un à disposition, un voisin, un ami, des petits-enfants et d’être unis n’existe pas. C’est pourquoi, je vais l’emporter.
« Cuba m’a donné... – elle réfléchit et cherche les mots exacts – l’énergie positive, solidaire, c’est comme cet esprit qui... je ne sais pas le dire avec des mots. » •